Sommet Afrique-Russie, Sommet Afrique-Türkiye, Sommet Afrique-USA, Sommet Afrique-France (la liste est loin d’être exhaustive) ... les plateformes et rencontres diplomatiques entre les pays africains et des puissances étrangères n’ont cessé de se multiplier ces dernières années. Chaque acteur essaye de renforcer son influence politique, ses relations économiques, de multiplier ses “amis” en Afrique, de se présenter comme le partenaire qu’il faut aux pays africains. La diplomatie publique est devenue un jeu de séduction, le renforcement de son soft power, face à une Afrique qui en veut plus qu’auparavant, et qui cherche désormais des partenariats équitables, basés sur le respect et l’humanité.
De nouveaux acteurs, des puissances émergentes, avec de nouvelles offres et de nouveaux atouts, se sont ainsi invités sur le continent. Ils s’imposent en nouveaux partenaires, avec un nouveau narratif, une nouvelle rhétorique, qui ne font pas que des heureux. Les puissances occidentales, d’anciens colons devenus “partenaires” stratégiques de gré ou de force, se voient désormais particulièrement menacées dans leur influence presque hégémonique depuis les “indépendances”, et qui ont du mal à faire face aux mutations sociopolitiques résultant pour la plupart, des manquements de leur politique étrangère impérialiste et déséquilibrée sur le continent. Certains sont dans le déni, la France en l’occurrence, refusant d’admettre ses propres turpitudes et préférant toujours se présenter en victime d’une propagande anti-française des nouveaux acteurs, devenus des rivaux qui font mieux qu’elle. Parce que oui, la Türkiye, la Russie ou la Chine semblent devenues des partenaires aux offres beaucoup plus intéressantes pour les Etats d’Afrique.
Ces nouveaux acteurs, devenus extrêmement proactifs sur le continent depuis deux décennies (pour la Türkiye et la Chine en l’occurrence), dament visiblement le pion aux Occidentaux. Chacun d’entre eux présente des atouts et des offres de politique étrangère qui font désormais leur réputation (à différents degrés) sur le continent. Mais chacune de ces puissantes émergentes présente aussi des faiblesses, voire des lacunes dans leur politique étrangère qui pourraient compromettre leur partenariat avec les pays africains ou ne pas leur permettre d’optimiser réellement leur potentiel.
La diplomatie humanitaire mise en œuvre en Afrique depuis la venue de l’AK Parti au pouvoir, a d’emblée été la variable déterminante de ce que la Türkiye désirait offrir et faire avec ses partenaires. Le nombre d’étudiants africains boursiers de la Türkiye, le rôle proactif des ONGs turcs (TİKA, Diyanet, Türk Kızılay etc.), le commerce et les produits turcs de plus en plus prisés sur le continent, ont fini de renforcer des relations cordiales entre les peuples africains et turcs. La religion islamique et le positionnement du Président Erdoğan comme un leader du monde musulman a aussi été un levier de rapprochement et de facilitation des interactions entre l’Afrique et la Türkiye.
L'Afrique appartient aux Africains, nous ne sommes pas ici pour votre or.
Mais si la Türkiye présente bien des atouts dans sa politique étrangère en Afrique, elle a encore une marge de progression nécessitant plus d’efforts. Les 45 milliards de dollars d’échanges commerciaux entre Ankara et l’Afrique sont bien loin des 282 milliards de dollars de la Chine alors que la présence diplomatique de la Türkiye à travers 45 ambassades en Afrique devrait permettre de booster cette courbe. Ensuite la diaspora africaine de plus en plus présente en Türkiye, entre étudiants et commerçants, pourrait être aussi mieux optimisée dans les relations turco-africaines.
Pékin et Moscou sont d’éminents acteurs désormais en Afrique. La Chine s’est positionnée comme un acteur exclusivement économique en Afrique depuis plus de 20 ans, malgré des efforts de soft power via la promotion de la langue chinoise et l’offre bourses aux étudiants. Les commerçants chinois ainsi que les produits “made in China” sont presque devenus incontournables dans le marché africain. L’offre économique de la Chine s’est surtout basée sur une stratégie de pénétration de marché par une segmentation commerciale compatible au pouvoir d’achat des populations, en cassant les prix. Des produits des chaussures, aux gros contrats d’infrastructures publics, la Chine a réussi à dépasser plutôt facilement les Occidentaux dont les offres n’ont pas toujours respecté les délais de livraison et n’ont pas toujours été efficientes.
Jusque-là l’approche chinoise reste purement économique même si les relents politiques commencent à se sentir. La Chine a toujours privilégié, comme la Türkiye, une approche de non-ingérence dans les affaires politiques africaines, et a plutôt cherché à ne “regarder” que l’alternative économique qu’elle pouvait représenter aux yeux de l’Afrique et en faire un atout d’influence. Mais la politique chinoise en Afrique est aussi critiquée pour sa forte orientation à l’endettement.
La Russie elle, est plutôt assez loin de toute cette stratégie de soft power. Moscou est plutôt dans le smart power. Les drapeaux russes et les slogans pro-russes brandis au Mali, au Burkina Faso et au Niger aux lendemains de coups d’Etat, ont mis un coup à l’influence occidentale. La Russie est devenue un acteur privilégié de beaucoup d’Africains quand il s’agit de la gestion de la sécurité et de la lutte contre les groupes armés, sur des territoires, comme au Mali, où la présence occidentale de plus de 10 ans n’a jamais pu mettre fin aux menaces sécuritaires. La logistique, les formations et les combattants (Wagner) militaires sont devenus les leviers d’influence de la Russie en Afrique, et Moscou est parvenu jusque-là à capitaliser une certaine sympathie avec cela. Mais le pays de Vladimir Poutine profite surtout de ses antécédents positifs en Afrique durant la colonisation où l’URSS a été aux côtés de mouvements de libération, notamment en Afrique australe, comme le Congrès national africain (ANC) et le Parti communiste sud-africain (SACP) en Afrique du Sud, le Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA), le Front de libération du Mozambique (FRELIMO) et l'Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU), et cela, Moscou en fait désormais un outil d’attractivité en Afrique.
Mais Moscou peut-il pérenniser cette sympathie dans le temps uniquement via les outils du hard power ? Pas sûr.
Quoi qu’il en soit, les puissances émergentes sur le continent ont des atouts qui font logiquement leur succès actuel chez les Africains. Les relations asymétriques avec les anciens acteurs comme la France, les Etats-Unis dans une moindre mesure, le Royaume-Uni, sont désormais mises à rude épreuve. Les conditionnalités et le paternalisme qui continuent de marquer les politiques étrangères de l’Ouest en Afrique vont continuer de renforcer un sentiment d’aversion chez les Africains décomplexés tant que les Occidentaux ne seront pas conscients de deux choses: ils ne sont plus seuls en Afrique et il y a un réveil des consciences commun à toute l’Afrique désormais, sur les véritables enjeux qui empêchent le développement du continent. À bon entendeur...