La guerre à Gaza est un véritable désastre humanitaire. Selon les responsables de l'ONU, elle présente les caractéristiques d’un génocide; avec plus de 44 000 morts, plus de 104 000 blessés et des milliers de disparus non recensés, sous l'effet des frappes meurtrières et impitoyables.
L'ampleur de la destruction est colossale et sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle touche sévèrement tous les aspects de la vie, les diverses infrastructures et l’ensemble des milieux naturels, présentant alors une forme d’écocide inédite.
Dans le cadre de l’évaluation de l’empreinte carbone de cette guerre, je précise d’abord que pour calculer le bilan carbone d’un tel événement, on utilise des méthodes spécifiques, comme celles mises en place par l’ADEME (l’agence d'efficacité énergétique- France) et le protocole GHG des gaz à effet de serre. Il convient également de recourir à des normes telles que les normes ISO 14064 et ISO 14067, qui définissent les spécifications et les lignes directrices concernant la quantification et la comptabilisation des gaz à effet de serre (GES), ainsi que la déclaration de ces bilans. Il est aussi nécessaire de mobiliser les bases de données fournissant les facteurs d'émission utilisés dans ce calcul, comme la base carbone gérée par l'ADEME, ainsi que d’autres bases adaptées à des contextes bien particuliers.
Nous appliquons ces méthodologies et règles aux données relatives à cette guerre, en sélectionnant celles issues de sources fiables et neutres, notamment celles collectées et publiées par l’ONU et ses entités. En outre, nous nous inspirons d’autres études et faisons des comparaisons et analogies possibles. D’ailleurs, je suis également impliqué dans des projets associatifs qui utilisent ces méthodes pour réaliser des bilans carbone.
Avant d’entreprendre l’évaluation de l’empreinte carbone de cette guerre, j’ai mené une analyse critique des travaux antérieurs réalisés sur la guerre de Gaza et j'ai formulé quelques remarques et observations, entre lesquelles je note :
En comparaison avec les travaux réalisés pour la guerre en Ukraine, les recherches sur l’établissement du bilan carbone de la guerre de Gaza sont particulièrement rares.
- Ces rares travaux publiés sous-estiment et minimisent de manière incompréhensible l’ampleur de cette empreinte; en ignorant notamment :
• Les aspects et les postes d'émissions importants et significatifs, en particulier les postes relatifs aux programmes de déblaiement et à la reconstruction des bâtiments détruits, démolis ou endommagés au cours de cette guerre.
• De plus, ils négligent totalement l'effet carbone du soutien financier assuré par les pays occidentaux en faveur de l'État hébreu.
• Certains aspects de la guerre et du soutien militaire demeurent secrets et non divulgués par cet État et ses alliés.
• Les émissions indirectes, en aval et en amont, liées à ce qu’on appelle le "scope 3", en relation avec le cycle de vie de tous les produits et services alimentant cette guerre.
À titre d'exemple, des scientifiques des universités de Lancaster et Queen Mary ont recensé les émissions de gaz à effet de serre pendant les 60 premiers jours de la guerre contre Gaza. Ils ont estimé ces émissions à 281 000 tonnes d’équivalent CO2 ; soit l’équivalent de 15 000 tonnes de charbon.
On attribue une estimation exagérée aux émissions découlant du creusement des tunnels à Gaza, sans prendre en compte celles liées à l'établissement de l’infrastructure militaire de l’entité occupante, reconnue comme l’une des plus importantes au monde. Cette remarque est inspirée des travaux de Benjamin Neimark et al. (2024), qui ont évalué les émissions des tunnels à 176 000 tonnes de CO2eq, tandis qu'ils ont estimé celles des missions aériennes les plus importantes de cette guerre à seulement 12 200 tonnes.
Il est d’ailleurs irrationnel de comparer et de présenter sur le même graphique des émissions permanentes (comme celles des tunnels) et temporaires (celles des missions aériennes), ces dernières étant calculées uniquement pour deux mois d'une guerre toujours en cours.
Afin de remédier à cette situation, j’ai tenté d’établir un bilan carbone, au minimum, en utilisant les estimations minimales (mais précises et fiables) que l’on peut fournir en analysant seulement les postes pour lesquels on dispose de données fiables et crédibles. Parmi ces postes, je note :
Le poste de reconstruction et de déblaiement :
D’après les données collectées par les Nations Unies, à partir d’images satellites de haute résolution prises le 24 septembre 2024; 163 778 bâtiments ont été détruits, soit les deux tiers des bâtiments de Gaza. Les décombres et débris s’élèvent à 42,2 millions de tonnes. Sur cette base, j’ai calculé la superficie approximative des bâtiments détruits. En adoptant un chiffre de 300 kg de débris par mètre carré, cela implique une superficie de 140 millions de mètres carrés pour l’ensemble des bâtiments détruits.
En appliquant le facteur d’émission relatif à la construction de logements en béton armé (436 kg CO2eq/m², selon des bases de données internationales reconnues, comme celle de l'ADEME), on déduit que la simple reconstruction de ces bâtiments dans leur état d’avant la guerre entraînerait une émission de 61 millions de tonnes de CO2eq. Ce chiffre peut être justifié en utilisant des facteurs d’émission monétaires appliqués aux chiffres déclarés par l’ONU, qui estiment que cette reconstruction coûtera entre 30 et 40 milliards de dollars. Selon des travaux antérieurs; les émissions de ce poste représentent environ la moitié des émissions issues de ce type de guerre.
Quant au déblaiement de cette énorme quantité de débris, en utilisant le facteur d’émission de 26 kg CO2eq/tonne de débris, ces interventions entraîneraient plus d’un million de tonnes de CO2eq.
Le poste des émissions liées au soutien financier occidental :
L’entité occupante a bénéficié d’un soutien financier occidental sans précédent, notamment des États-Unis, qui s’élève à 27,9 milliards de dollars. En utilisant des facteurs d’émissions monétaires, on peut estimer l’équivalent en CO2 de ce montant.
Si ce soutien provient par exemple, de bénéfices ou d’impôts des usines fabriquant des voitures, ce montant pourrait correspondre au coût de 1,4 million de voitures, avec un taux d'émission lors de la fabrication de chaque voiture estimée à 5,6 tonnes de CO2 , soit au total environ 7,8 millions de tonnes de CO2eq.
Le poste des émissions relatives aux missions aériennes :
Cette guerre a occasionné l'utilisation la plus intense de la flotte aérienne. En termes d'intensité des raids aériens et seulement au cours du premier mois de la guerre contre Gaza, on a enregistré 330 raids d'avions de combat, 860 raids d'hélicoptères et 570 raids de drones avec un nombre record de vols militaires depuis les pays occidentaux et depuis leurs bases pour soutenir l'entité occupante qui s'élevait à six mille vols pendant la première année de la guerre et ceci, selon des données de navigation fournies par le site Internet "Radar Box", avec plus de 1800 vols de ravitaillement dans l'atmosphère d’après les données de "l'Agence Sanad".
Tout cela en sachant que les avions de combat de tous types consomment une grande quantité de kérosène. Par exemple, les avions de combat F-35 consomment 5600 litres de kérosène en une heure seulement. Chaque kg de kérosène entraîne la combustion de 3,16 kg de dioxyde de carbone, sachant que ce carburant est considéré, deux à quatre fois plus nocif pour l'environnement et le climat que tout autre type de carburant. On imagine alors l'ampleur des émissions de CO2 et des autres gaz à effet de serre résultant du mouvement de toutes ces immenses flottes évoquées précédemment.
Des estimations de Greenpeace révèlent que 90% des émissions de cette guerre sont générées par les bombardements aériens, ce qui est équivalent à 483 000 tonnes de CO2eq pendant les quatre premiers mois de la guerre. Néanmoins, sans informations exactes, il demeure impossible de quantifier de manière fiable et sûre les émissions de ce poste.
Conclusion :
L’analyse des résultats recueillis confirme que le bilan carbone de cette guerre dépasse largement les 130 millions de tonnes d’équivalent CO2 au cours de sa première année. Il s’agit de la moindre estimation possible, basée uniquement sur les statistiques disponibles pour quelques postes, en excluant ceux pour lesquels nous ne disposons pas de données fiables. Afin de rendre ce chiffre plus tangible, cela correspond aux émissions de 80 pays réunis sur une année entière. Un bilan qui aura des répercussions néfastes sur le climat de notre planète, déjà gravement affecté.
Malheureusement, la dernière conférence des parties de la convention climat - COP 29 - a négligé ce désastre génocidaire et écocidaire dans ses travaux et ses recommandations.
Ahmed Sadqi, activiste pour le climat