Chine, Etats-Unis, Russie… L’Afrique plus que jamais carrefour des rivalités géopolitiques | ANALYSE

Alioune Aboutalib Lo
17:5812/12/2025, vendredi
MAJ: 12/12/2025, vendredi
Yeni Şafak
Le président sud-africain Cyril Ramaphosa (au centre) au XVe sommet des BRICS, le 24 août 2023 à Johannesburg.
Crédit Photo : X / X
Le président sud-africain Cyril Ramaphosa (au centre) au XVe sommet des BRICS, le 24 août 2023 à Johannesburg.

L’Afrique occupe désormais une place centrale dans les rivalités géopolitiques mondiales. Ses ressources stratégiques, sa démographie dynamique et sa position au cœur des routes commerciales attirent les grandes puissances. États-Unis, Chine, France, Russie et Ukraine s’affrontent directement ou indirectement pour l’influence, les minerais et les alliances. Le continent subit ainsi les effets de confrontations globales, tout en revendiquant une souveraineté croissante.

Dans chaque région du monde, les enjeux politiques se multiplient de décennie en décennie, changent de nature certes en fonction des époques et de l’évolution des doctrines, mais gardent les mêmes motivations et les mêmes mobiles, dont le principal est "
l’animus dominandi"
, l’instinct de domination avec lequel l’homme semble façonné, et qui se reflète encore dans le comportement de certains États. Aujourd’hui, l’Afrique dans son ensemble est devenue le centre de gravité de ces enjeux politiques, car, jouissant des ressources stratégiques qui nourrissent les rivalités géopolitiques, elle devient désormais un terrain de bataille des puissances attirées par ces ressources et par la croissance économique d’un continent encore en construction. Cet article analyse les enjeux géopolitiques conflictuels qu’abrite déjà le continent face à des acteurs qui ne se soucient pas toujours du bien-être même des Africains.

Pourquoi l’Afrique attire ?


L’intérêt des
"autres"
pour l’Afrique ne date pas d’aujourd’hui. La traite négrière et la colonisation avaient déjà donné à l’Afrique un rôle
"périphérique"
, pour reprendre Wallerstein, la destinant à être le fournisseur de main-d’œuvre et de matières premières au reste du monde. Au fil des siècles, la nature de
"l’exploitation"
a changé au gré des indépendances et de la technologie, mais pas les principes ni les enjeux. Aujourd’hui, trois faits justifient encore l’intérêt croissant des grandes puissances pour l’Afrique

Richesses naturelles critiques pour la transition énergétique et technologique


Le continent concentre des réserves massives de minerais indispensables à la décarbonation et à la high-tech : 30 % des réserves mondiales de minerais stratégiques, 60 % de la production mondiale de cobalt via la République démocratique du Congo ; le continent reste aussi le 1er producteur de platine, de chrome, de diamants et de manganèse. À cela s’ajoutent des réserves importantes de lithium (Zimbabwe, Namibie, Mali, Nigeria), de cuivre (RDC, Zambie), de terres rares (Afrique du Sud, Burundi) et de graphite (Mozambique, Tanzanie). Ces minerais sont devenus "l’or noir du XXIᵉ siècle" pour les batteries, l’éolien, le solaire et l’électronique.


Explosion démographique et marché de consommation futur


L’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050 (25 % de la population mondiale) et près de 4 milliards en 2100. C’est le seul continent où la population active va exploser, tandis que le reste du monde vieillit. Cela en fait un marché, une main-d’œuvre et un réservoir de croissance uniques.


Position géostratégique renforcée


L’Afrique demeure incontournable dans le commerce, car elle se situe au cœur de presque toutes les routes commerciales : de Bab-el-Mandeb au golfe de Guinée, en passant par le cap de Bonne-Espérance et l’Atlantique. Cela lui confère une position géostratégique extrêmement importante pour la sécurisation du commerce mondial.


Les confrontations géopolitiques en Afrique


Ces facultés de l’Afrique ont fini par en faire un continent extrêmement courtisé et dont le désir d’émancipation et de souveraineté, encore latent, devra composer avec des partenaires internationaux "boulimiques", qui peuvent avoir non seulement le désir de la contraindre, mais dont les rivalités en font désormais un terrain de bataille qui favorise même la confrontation.


États-Unis vs Chine: minerais stratégiques


La question des minerais stratégiques vient en tête des enjeux sur lesquels les puissances vont se crêper le chignon. Entre minerais critiques et terres rares, la confrontation, même si encore froide, a déjà commencé entre Washington et Pékin. L’interdépendance complexe au sein du commerce mondial fait en sorte que des avantages stratégiques sur des exportations deviennent des sources de puissance. Sur la question des terres rares, la Chine a la mainmise actuellement sur environ 70 % de la production, dont dépendent les entreprises américaines. Cela explique pourquoi Donald Trump, qui ne voit le monde qu’à travers sa mentalité de "businessman", est obnubilé par le désir de déconstruire cet avantage chinois et de diminuer la dépendance américaine.


De ce fait, les accusations contre le Nigeria sur un supposé "génocide" des chrétiens, et le proactivisme américain dans les accords de paix entre la RDC et le Rwanda, apparaissent comme des tentatives pour renforcer l’influence de Washington sur des pays riches en minerais stratégiques et déjà présents dans "le panier" chinois. La renégociation de l’African Growth Opportunity and Act (AGOA), dont la prolongation est au point mort depuis septembre, est aussi liée au vœu des États-Unis d’en faire une monnaie d’échange pour faciliter l’accès aux minerais stratégiques des pays signataires.


France vs Russie: influence, ressources


Au Sahel, la France a complètement été éjectée au profit de la Russie. La présence des forces françaises dans la région, du plan Serval au plan Barkhane, n’a pas permis d’enrayer la menace terroriste qui frappe les pays sahéliens, et le Mali en l’occurrence, depuis quinze ans. Au fil des ans, Paris a perdu son attractivité, sa légitimité, sa crédibilité et son influence dans la région, au profit de la Russie, qu’elle accuse d’avoir mené une campagne pour créer un "sentiment anti-français" en Afrique francophone.


S’il est vrai que la diplomatie publique russe mêle communication stratégique et propagande, en s’appuyant sur plusieurs comptes sur les réseaux sociaux, les causes réelles de la perte de légitimité de la France en Afrique sont à situer dans sa politique africaine, qui a encore du mal à rompre avec l’héritage colonial et l’empreinte impérialiste.


Depuis son départ du Sahel, la France se trouve engagée dans une guerre informationnelle avec la Russie. En août 2025, un compte X a même été créé par le Quai d’Orsay (@FrenchResponse) pour apporter des réponses directes aux informations perçues comme anti-françaises (ou comme de la désinformation) sur les réseaux sociaux et attribuées aux "proxys digitaux" de la Russie. Cette dernière ne cache pas sa propagande et est bien souvent coupable de ce dont on l’accuse. Mais les frictions entre les deux puissances ne concernent pas seulement l’influence : les richesses exploitées par les groupes russes au Sahel font aussi partie du problème. L’uranium, désormais nationalisé par le gouvernement nigérien et dont le groupe français Orano était propriétaire, ajoute une couche aux enjeux.


Russie vs Ukraine: la guerre qui déborde


En dehors de ses richesses courtisées par les puissances, l’Afrique voit un conflit européen déborder sur son terrain: la guerre russo-ukrainienne. Le conflit en cours depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 ne s’est pas limité à Kiev et Moscou. Il empiète désormais sur l’Afrique.


D’abord, il y a eu l’attaque terroriste de Tinzaouaten au Mali en juillet 2024, qui a fait 84 morts. Un porte-parole du renseignement militaire ukrainien (GUR), Andriy Yusov, a déclaré publiquement le 29 juillet 2024 que l’Ukraine avait fourni des "informations nécessaires" aux rebelles pour mener l’attaque, afin de contrer les forces russes et Wagner au Mali. L’ambassadeur ukrainien au Sénégal, Yurii Pyvovarov (accrédité aussi pour le Mali), a confirmé avoir soutenu l’opération en fournissant des renseignements.


Ensuite, un navire du nom de Mersin, soupçonné de faire partie de la "flotte fantôme" russe, a subi quatre explosions au port de Dakar le 7 novembre 2025. Si aucune voix ukrainienne n’a encore revendiqué l’attaque, beaucoup y voient la main de Kiev. Cela confirme le déplacement d’un conflit intra-européen vers l’Afrique, qui subit les tentacules d’une rivalité géopolitique qui ne devrait pas la concerner.


Conclusion


En somme, l’Afrique est plus que jamais un carrefour des enjeux et des rivalités géopolitiques. Les richesses dont dispose le continent consacrent de facto son importance géopolitique, en plus de sa géostratégie. Aujourd’hui, l’Afrique doit répondre aux revendications de développement d’une jeunesse exigeante et désormais imprégnée des réalités de la politique internationale. Elle doit aussi affiner une politique "smart" et stratégique capable de se prémunir des conséquences de l’impérialisme renaissant et des rivalités géopolitiques qui la secouent.


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