France: "Est-ce-que le message que l'Etat veut faire passer aux musulmans c'est qu'ils n'ont pas leur place dans ce pays?"

16:0913/01/2025, lundi
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Cette photo montre la cour du groupe scolaire musulman Al Kindi à Décines-Charpieu, près de Lyon, dans le centre-est de la France, le 6 décembre 2024.
Crédit Photo : ARNAUD FINISTRE / AFP
Cette photo montre la cour du groupe scolaire musulman Al Kindi à Décines-Charpieu, près de Lyon, dans le centre-est de la France, le 6 décembre 2024.

Alors que l'annonce de la résiliation des trois contrats d'association du groupe scolaire Al-Kindi est tombée comme un couperet, vendredi dernier, après plusieurs semaines d'échanges entre la Préfecture du Rhône et la direction de l'établissement, Maître Sefen Guez Guez, avocat du groupe scolaire Al-Kindi, s'interroge sur la politique menée par l'Etat vis-à-vis des établissements musulmans.

Les autorités ont, en effet, considéré que les trois contrats conclus avec l'Etat ne pouvaient être maintenus et affirment avoir constaté
"des manquements administratifs"
ainsi que
"des manquements pédagogiques et des atteintes aux valeurs de la République"
.

Dans un communiqué de presse publié vendredi, la Préfecture va encore plus loin et affirme que
"loin d'être une série de faits isolés, ces manquements et dysfonctionnements pris ensemble démontrent une proximité des établissements Al-Kindi avec la pensée des frères musulmans dont le projet est contraire aux valeurs de la République"
.

De fait, cette résiliation de contrat qui prendra effet à la fin de l'année scolaire en cours, s'inscrit dans le sillage d'une série d'autres procédures initiées ces dernières années pour mettre un terme aux contrats liant l'Etat à des établissements scolaires musulmans.

Dans une interview accordée à Anadolu, Maître Sefen Guez Guez, qui défend le groupe scolaire Al-Kindi avec d'autres avocats dont Maître Hakim Chergui, dénonce une décision injuste.


Pour l'avocat niçois, le traitement réservé aux établissements musulmans sous contrat interroge sur la politique menée par l'Etat en la matière, alors que le lycée Averroès de Lille et le collège Avicenne de Nice, ont déjà été visés dans les mois qui viennent de s'écouler.


Maître Guez Guez considère, en effet, qu'en reliant
"les points entre Averroès qui a perdu son contrat d'association, Avicenne qui a été menacé de fermeture, heureusement rattrapée par la justice, et aujourd'hui Al-Kindi qui est le dernier lycée musulman sous contrat en France, vous avez le sentiment qu'il y a une volonté de démantèlement de l'enseignement privé musulman sous contrat"
. Et d'ajouter:

Le message qui est fait passer ici, c'est que clairement la France considère que sa composante musulmane n'a pas à bénéficier des mêmes droits que les autres.

Il appuie son propos en prenant en référence le groupe scolaire catholique Stanislas, pour lequel
"des mesures correctrices"
ont été réclamées par les autorités afin d'éviter toute sanction ou fermeture malgré une polémique nationale liée aux enseignements et à des propos discriminatoires.

Deux poids, deux mesures


"Pour Al-Kindi, tout comme pour Averroès, tout comme pour Avicenne, vous n'avez que la répression qui est proposée. Vous n'avez pas de volonté d'accompagnement, or il faut le rappeler, ce sont quand même des établissements scolaires. Le principe d'une école c'est la pédagogie. S'il y a des erreurs il faut pouvoir les rattraper, il faut pouvoir en discuter, or ça n'a jamais été proposé pour Al-Kindi"
, assure Maître Guez Guez pour qui la Préfecture
"est uniquement dans la confrontation et dans un rapport à charge qui vient balayer 13 années de mise sous contrat avec l'éducation nationale"
.

Et de détailler:
"Durant ces 13 années, il y a eu 11 rapports d'inspection qui ont tous été favorables, sauf évidemment le dernier qui vient, à charge, vous expliquer ‘voilà vous avez fait des cartes de voeux pour des enfants à l'occasion de la fête de l'Aïd' ou bien ‘on a trouvé une citation du Prophète à l'occasion du mois de Ramadan' ou bien ‘on est parti exhumer des publications Facebook d'un de vos professeurs, sans jamais rien reprocher ni au professeur, ni à l'enseignement, ni aux élèves qui suivent ces cours-là, mais vous avez la politique de l'Etat sur le séparatisme ou sur la laïcité'. Où est-ce-qu'on va? Est-ce-que le message que l'Etat veut faire passer c'est de dire aux musulmans qu'ils n'ont pas leur place dans ce pays? Ça je ne peux pas l'accepter. Et c'est la raison pour laquelle nous considérons que la décision de rupture du contrat d'association est une décision injuste"
.

Et le sentiment de Maître Guez Guez est loin d'être isolé puisque de nombreuses voix ou personnalités politiques ont dénoncé un deux poids deux mesures dans la manière dont l'Etat s'attaque aux structures musulmanes.

Le député LFI (La France Insoumise), Paul Vannier, qui réclame une
"intensification des contrôles des établissements privés sous contrat"
accuse le gouvernement de les utiliser comme
"prétexte à une offensive islamophobe"
.

"La comparaison du traitement réservé au lycée Al-Kindi et au Collège Stanislas dit tout du deux poids deux mesures qui vise les musulmans de notre pays"
, a-t-il notamment déclaré dans une publication sur le réseau social X.

Le groupe scolaire Al-Kindi a lui aussi naturellement réagi à la rupture de son contrat avec l'Etat en mettant en lumière ce qui relève, pour lui, d'une
"rupture du contrat social"
.

"En rompant les contrats d'association, l'Etat envoie un signal très clair à la composante musulmane de notre pays: elle ne fait pas partie de la Nation et n'a pas le droit au même traitement que les autres, puisqu'aujourd'hui il n'y a plus de lycée musulman sous contrat d'association avec l'Etat"
, est-il noté dans un communiqué diffusé vendredi.

L'établissement, qui assure avoir
"pris toutes les mesures correctrices"
relatives aux accusations formulées par l'administration, considère que cette
"résiliation restera, dans ces circonstances, la marque de la rupture de l'égalité républicaine
. Al-Kindi ajoute:

Cette décision s'inscrit, pour les citoyens de confession musulmane, dans une logique de relégation sociale qui, sous couvert de lutte contre le séparatisme, aura été voulue, préparée et implacablement mise en œuvre par l'Exécutif.


"En soi, ressentie comme l'expression d'une islamophobie d'Etat qui ne prend désormais plus la peine de se masquer, le message adressé aux Musulmans, par cette résiliation, est des plus violents: 'nous ne voulons pas de vous, même et surtout quand vous réussissez'"
, conclut le groupe scolaire qui entend naturellement contester la décision de la Préfecture du Rhône en saisissant la justice administrative.

Pour rappel, malgré les multiples procédures intentées pour contester la résiliation du lycée Averroès de Lille, l'Etat est allé au bout en mettant fin, de manière ferme et définitive, au contrat qui le liait à l'établissement qui bénéficiait pourtant de résultats d'excellence.

Du côté de Nice, le tribunal administratif a suspendu la fermeture du collège musulman Avicenne, visé lui aussi par un arrêté préfectoral.


À noter que le groupe scolaire Al-Kindi, qui accueille 617 élèves du CP à la Terminale, est ouvert depuis 2007 et a été régulièrement contrôlé par les services de l'Etat.


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