Crédit Photo : Daniel Beloumou Olomo / AFP
Thierry Aviti, responsable des habitats d'eau douce et chercheur à l'Université de Douala, recherche des charançons dans une touffe de salvinia sur le lac Ossa, à Dizangue, le 10 décembre 2024.
Depuis ses premières observations sur le lac Ossa, au Cameroun, Aristide Takoukam Kamla, docteur en biologie marine, se bat pour protéger les lamantins d'Afrique, une espèce méconnue et menacée, présente dans les eaux douces de la côte ouest du continent.
Pour observer ces discrets mammifères marins, il faut se rendre à l'aube, lorsque la surface du lac est calme. Avec un peu de chance, des traînées de bulles ou leurs narines émergentes trahiront leur présence.
Il y a plus de dix ans, en tant qu'apprenti chercheur à l'Université de Dschang, au Cameroun, Aristide Takoukam Kamla a lui-même peiné à repérer ces créatures.
"Sur le terrain, je m'attendais à les voir comme sur YouTube: dans une eau claire, sauter comme des dauphins... une idée complètement surréaliste",
confie-t-il avec un sourire, évoquant sa découverte des différences entre les lamantins africains et leurs homologues floridiens.
Grâce aux pêcheurs locaux, il a appris à les détecter dans les 4 500 hectares d'eaux sombres du lac Ossa, un parc naturel du sud-ouest du Cameroun. Aujourd'hui, le lamantin d'Afrique est devenu
et le sujet de son doctorat à l'Université de Floride.
En 2024, il a reçu le prestigieux Whitley Award pour ses efforts en faveur de la conservation.
Mystères autour d'une espèce vulnérable
De retour d'une expédition, Sarah Farinelli, chercheuse américaine, a été émue d'avoir observé cinq spécimens, dont une femelle et son veau. "C'est énorme ! Il y a certains endroits en Afrique où il est impossible de les voir", explique-t-elle.
Peu étudié, le lamantin d'Afrique, Trichechus senegalensis, est entouré de mystères: combien d'individus vivent au Cameroun ? Quelle est leur espérance de vie ? Jusqu'où migrent-ils ?
Présent entre la Mauritanie et l'Angola, ce gros herbivore marin, surnommé
est considéré comme vulnérable par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Selon Aristide, cette classification sous-estime le danger réel qui pèse sur l'espèce, victime de braconnage et d'un habitat menacé.
Au lac Ossa, le principal prédateur du lamantin est l'homme. Bien que leur pêche soit désormais interdite, des pollutions, comme les rejets d'une raffinerie d'huile de palme, continuent de menacer leur habitat. Des filets de pêche non réglementés représentent également un danger, notamment pour les jeunes lamantins.
"Nous sommes des autochtones, on vit de ça et on n'a jamais eu à subir des interdictions chez nous",
déclare un pêcheur, exprimant les tensions persistantes entre les communautés locales et les scientifiques.
Une lutte biologique contre la Salvinia Molesta
En 2021, une plante invasive, la Salvinia Molesta, a couvert la moitié du lac, rendant l'habitat invivable pour les poissons et les lamantins. Les scientifiques ont lancé une opération de lutte biologique en utilisant des charançons
un insecte microscopique, tout en mobilisant les pêcheurs locaux.
Trois ans plus tard, la plante a quasiment disparu, grâce à cette collaboration.
Vers un écotourisme durable
Pour Aristide Takoukam Kamla, maintenir une
avec les pêcheurs est essentiel afin d'éviter une "science parachute", déconnectée des réalités locales. Il mise sur l'écotourisme pour impliquer toutes les parties prenantes dans la conservation. "C'est une priorité", affirme Gilbert Oum Ndjocka, conservateur du parc national de Douala-Edéa.
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