Éthiopie: 50 ans après sa découverte, Lucy n'a pas encore livré tous ses secrets

10:1221/11/2024, jeudi
AFP
Sahleselasie Melaku, 31 ans, chef de département et chercheur associé des collections de paléontologie et de paléoanthropologie, examine des fragments d'os du squelette fossile de "Lucy" au Musée national d'Éthiopie à Addis-Abeba, le 19 novembre 2024.
Crédit Photo : Amanuel Sileshi / AFP
Sahleselasie Melaku, 31 ans, chef de département et chercheur associé des collections de paléontologie et de paléoanthropologie, examine des fragments d'os du squelette fossile de "Lucy" au Musée national d'Éthiopie à Addis-Abeba, le 19 novembre 2024.

Les quatre boîtes sont sorties avec soin d'un coffre-fort, puis posées sur une longue table. À l'intérieur, des restes dentaires, des fragments de crâne, de bassin et de fémur de la plus célèbre australopithèque, Lucy, découverte il y a cinquante ans en Éthiopie.

Le 24 novembre 1974, dans la région de l'Afar, située dans le nord-est du pays, une équipe de scientifiques composée initialement de Maurice Taieb, Yves Coppens, Donald Johanson, Jon Kalb et Raymonde Bonnefille met au jour 52 fragments d'ossements, permettant de reconstituer environ 40 % du squelette.


Ce fossile d'hominidé bipède, à l'époque le plus complet jamais trouvé, révolutionne la recherche scientifique et la compréhension de nos ancêtres.

D'abord appelé A.L-288-1, les chercheurs le surnomment ensuite Lucy, en référence à la chanson des Beatles
"Lucy in the Sky with Diamonds",
que l'équipe écoutait après avoir célébré leur découverte.

Il s'agit d'un 'Australopithecus afarensis' vieux de 3,18 millions d'années.


"Nos propres origines"


Lucy, morte possiblement entre 11 et 13 ans (considéré comme un âge adulte pour cette espèce), mesurait 1,10 m de haut et pesait 29 kg. Elle est conservée dans une pièce non ouverte au public au musée national d'Éthiopie, au cœur de la capitale Addis-Abeba.

Pour Sahleselasie Melaku, directeur du département de paléontologie, Lucy a changé
"la perception de l'évolution humaine".

Il décrit la période précédant sa découverte comme
"une période sombre"
de la recherche scientifique.
"Depuis sa découverte, nous avons beaucoup appris sur nos propres origines",
affirme le scientifique de 31 ans.

Le musée reçoit encore de nombreuses demandes pour l'étudier, mais le squelette ne quitte plus l'Éthiopie.


Sahleselasie Melaku se dit toujours émerveillé par son état de conservation. Il pointe notamment une vertèbre légèrement déformée:


Cela veut dire qu'elle avait sûrement des problèmes de dos.

"La découverte de Lucy, ça a été un moment assez exceptionnel, parce qu'il faut se rendre compte qu'il y a 50 ans, on connaissait finalement très peu de choses avant 3 millions d'années et on n'avait rien d'aussi complet",
remarque Jean-Renaud Boisserie, paléontologue et directeur de recherches au CNRS, affecté au Centre français des études éthiopiennes.

"Rôle moteur"


Longtemps décrite comme
"la grand-mère de l'Humanité",
Lucy est aujourd'hui plutôt considérée comme une tante ou une cousine, sa filiation directe avec l'Homme étant contestée.

Depuis 1974, de nombreuses découvertes ont changé la donne, notamment en Éthiopie, en Afrique du Sud, au Kenya et au Tchad. Parmi elles,
"Toumaï",
découvert en 2001 et daté d'environ 7 millions d'années, est considéré par certains scientifiques comme le premier représentant de la lignée humaine.

Toujours étudiée, Lucy n'a pas encore livré tous ses secrets.


Selon une étude publiée en 2016, elle passait un tiers de son temps dans les arbres, où elle nichait, et possédait des membres supérieurs très développés. Elle serait morte après être tombée d'un arbre, selon une étude de la revue américaine 'PLOS One' la même année.


En 2022, une autre étude publiée dans la revue 'Nature' et portant sur le bassin de Lucy a conclu que les nouveaux-nés australopithèques avaient un cerveau très immature, comme les bébés humains actuels, et nécessitaient la coopération des parents pour s'en occuper.

"Il reste encore de nombreuses questions sans réponse",
sourit Sahleselasie Melaku, avant d'ajouter:

En particulier, nous n'en savons pas beaucoup plus sur l'enfance de ces ancêtres.

Pour le paléontologue, les progrès scientifiques et les équipements toujours plus avancés permettent d'approfondir les recherches.


"Les études menées sur elle et ses semblables posent les questions scientifiques de demain",
souligne Jean-Renaud Boisserie.
"Un matériel aussi exceptionnel que celui-là a un rôle moteur dans l'évolution de la recherche".

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