François Burgat: "Il s’agit de restaurer, ou d’instaurer, la légitimité et les droits entiers de cette 'France de la diversité'"

19:024/07/2023, Tuesday
MAJ: 5/07/2023, Wednesday
AA
Le politologue et directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), François Burgat. Crédit photo: AGENCE ANADOLU
Le politologue et directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), François Burgat. Crédit photo: AGENCE ANADOLU

Dans une interview accordée à la presse, François Burgat, politologue et directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), analyse la crispation actuelle en France.

François Burgat, revient sur
"l’origine de cette crispation de la France"
où il y a selon lui
“deux catégories d’incendiaires": "Ceux qui, depuis quelques jours, mettent le feu au bien commun"
et
"ceux qui depuis des décennies mettent le feu au bien commun plus précieux encore que constitue le socle politique de la nation"
.

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Anadolu: Au cours de l’année dernière seulement, 13 personnes ont trouvé la mort lors de contrôles routiers qui ont dégénéré en France. C’est quoi votre diagnostic de la situation? À votre avis, est-ce que la loi de 2017 sur l’usage des armes à feu par les policiers est tellement permissive qu’elle consacre un usage de force excessif de la part des forces de l’ordre?


François Burgat: Je n’ai pas, à vrai dire, de compétence particulière pour analyser cette situation d’un point de vue technique. Tout au plus puis-je toutefois me faire l’écho de l’avis d’une large majorité des observateurs habilités: il est évident que le nombre des morts liés à des refus d’obtempérer a connu une nette croissance et qu’il est très raisonnable de la lier à la loi de 2017 qui a libéralisé l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre.


AA: Le Haut commissariat des droits de l’Homme de l’ONU a récemment épinglé la France pour "les profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale" parmi les forces de l’ordre. Pourtant, la France continue à dénier la présence d’un problème. Qu’est-ce que vous en pensez?


FB: Le terrain de mon expérience et de ma spécialité est celui du traitement discriminatoire que subissent, à mes yeux, en France, les membres de la communauté musulmane. J’ai constaté en effet, à l’instar de tous les observateurs de bonne foi, que depuis plusieurs années, cette composante de la nation française fait l’objet de multiples formes de stigmatisation très spécifiques.


Pour résumer le cadre de mon interprétation et de mon appréciation des émeutes actuelles, j’ai posté sur les réseaux sociaux la formule suivante.
“Il y en France deux catégories d’incendiaires. Il y a ceux qui, depuis quelques jours, mettent le feu au bien commun que constituent autobus et écoles. Ensuite, il y a ceux qui depuis des décennies mettent le feu au bien commun plus précieux encore que constitue le socle politique de la nation. Les deux sont absolument condamnables. Mais il n’est pas certain que les premiers soient les plus dangereux”
.

Sur l’origine de cette crispation de la France, toutes couleurs politiques confondues, plus importante encore que celle qui affecte plusieurs autres pays d’Europe, au détriment des musulmans, j’ai conclu que le différend a peu à voir avec une quelconque rivalité religieuse entre les dogmes musulman et chrétien, et pas davantage avec de supposées
“entorses”
dont seraient spécifiquement coupables ces musulmans vis à vis des règles de la
“laïcité à la française”
.

De mon point de vue, les musulmans sont maltraités en France principalement parce qu’ils appartiennent à cette génération des
“descendants des colonisés”
que les
“descendants des colonisateurs”
refusent avec obstination ,et de longue date, de traiter à égalité! Or la 4ème génération de ces descendants des colonisés a acquis (enfin!) la capacité de réclamer avec force à la fois le contenu des droits liés à sa citoyenneté et celui de participer à l’écriture de l’histoire de la relation de la France avec le pays de leurs ancêtres.

Il est de ce point de vue très révélateur que les Français descendants de sociétés africaines de culture autre que musulmane souffrent d’un identique ostracisme. Tous ceux qui défendent les droits des minorités sont ainsi discrédités comme autant d’islamistes s’ils sont de culture musulmane, mais de
“racialistes”
s’ils sont de culture africaine autre que musulmane.

Depuis trois ans, et notamment depuis que le président Macron a réalisé qu’il lui fallait, pour être réélu, concurrencer l’extrême-droite sur son terrain (la stigmatisation raciste des dernières générations de l’immigration), les provocations se sont multipliées. Il y a eu principalement mais pas seulement cette loi dite sur
“le séparatisme”
, qui a permis de dissoudre légalement des centaines d’associations (scolaires, sportives, religieuses) musulmanes. Il y a eu également le durcissement des règles de la répression contre toute sorte de mobilisation protestataire. Les écologistes, qui sont demeurés coupablement silencieux face à la vague répressive contre les milieux musulmans, découvrent aujourd’hui que la loi sur le séparatisme peut servir à frapper leurs rangs.

AA: Que doit faire la France pour mettre un terme aux émeutes et remédier au problème de la violence policière?


FB: Il existe bien sûr des mesures d’apaisement à court terme. Elles incluent le fait de donner aux institutions de contrôle des forces de police une crédibilité que l’actuelle IGPN, totalement discréditée, a définitivement échoué à acquérir. Elle implique sans doute de cesser de donner libre court à l’action provocatrice des syndicats de police, ou encore de rétablir cette police dite
“de proximité”
supprimée par le Président Sarkozy.
Mais sur le fond, le chantier est beaucoup plus important: il s’agit de restaurer, ou d’instaurer, la légitimité et les droits entiers de cette
“France de la diversité”
héritée en droite ligne de l’aventure coloniale, à qui la République ne semble pas encore s’être résolue à ouvrir véritablement ses portes.

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