Ces estimations découlent des travaux de la première commission indépendante mise sur pied en Espagne pour évaluer l'ampleur de la pédocriminalité dans l'Église, qui a remis son rapport de 777 pages au Congrès des députés.
Le document se montre très critique de l'attitude de la hiérarchie catholique, affirmant que la réponse de celle-ci à la révélation de ces agressions
"a été caractérisée pendant longtemps par la négation ou la minimisation du problème".
"Malheureusement, pendant de nombreuses années a prévalu une certaine volonté de nier les agressions ou une volonté de dissimulation ou de protection des coupables"
, a déclaré le président de cette commission, Ángel Gabilondo, le "Défenseur du Peuple" (équivalent du Défenseur des Droits en France), lors d'une conférence de presse.
Interrogée par l'AFP sur ce rapport et les propos de Gabilondo, une porte-parole de la Conférence épiscopale a indiqué que l'Église ne réagirait pas dans l'immédiat.
Elle a rappelé que la Conférence épiscopale avait annoncé dans la matinée, juste avant la présentation du rapport, qu’elle tiendrait lundi prochain une assemblée plénière extraordinaire pour débattre de ce document.
À Bruxelles, où il participait à un sommet européen, le Premier ministre espagnol en exercice, le socialiste Pedro Sánchez, a qualifié le rapport de
"fait marquant dans l'histoire de la démocratie dans notre pays".
"Nous sommes aujourd'hui un pays un peu meilleur, parce que nous avons rendu publique une réalité que tout le monde connaissait depuis de nombreuses années, mais dont personne ne parlait, en tout cas pas dans les termes qui ont commencé à être utilisés aujourd'hui"
, a-t-il dit lors d'une conférence de presse.
Le rapport ne fournit pas d'estimations chiffrées sur le nombre des victimes, mais il contient un sondage - le premier du genre - effectué à la demande de la commission auprès de plus de 8.000 personnes qui permet de déduire l'ampleur du fléau.
Selon les résultats de cette enquête d'opinion, 1,13% de la population adulte espagnole (estimée à environ 38,9 millions de personnes) dit avoir été agressé sexuellement, alors qu'elles étaient mineures, dans un environnement religieux.
Sur ce total, 0,6% d'entre elles (soit plus de 230.000 personnes) disent avoir subi une agression sexuelle de la part de religieux, alors qu'une proportion légèrement inférieure (0,53%, soit plus de 200.000 personnes) ont indiqué avoir été agressées sexuellement alors qu'elles étaient mineures par des laïcs travaillant dans des institutions religieuses, par exemple des enseignants.
Gabilondo a précisé que les cas concernaient la période allant
, mais que certains remontaient aux années 40.
Parmi la vingtaine de mesures proposées dans le rapport, figure la création par l'État d'un fonds pour verser des réparations aux victimes, ainsi que la tenue d'un
"acte public de reconnaissance et de réparation symbolique"
aux victimes.
"Le début de quelque chose"
Les représentants des associations de victimes se sont, dans l'ensemble, montrés satisfaits du rapport de la commission.
Le porte-parole et co-fondateur de l'association "Enfance Volée", Juan Cuatrecasas, qui y voit
"le début de quelque chose",
a déclaré à l'AFP:
C'est un rapport sérieux, qui répond aux revendications des victimes.
Contrairement à la France, à l'Allemagne, à l'Irlande ou aux États-Unis, l'Espagne, pays à très forte tradition catholique, n'avait encore jamais réalisé une enquête indépendante sur ce thème.
Gabilondo a d'ailleurs reconnu que l'Espagne était
par rapport à ses voisins.
À titre de comparaison, une commission indépendante avait recensé 216.000 mineurs victimes depuis 1950 en France.
Composée d'experts, la commission avait été créée par le Congrès des députés en mars 2022, avec pour mission de
sur les
"actes personnels exécrables commis contre des enfants sans défense"
au sein de l'Église.
Celle-ci, qui a refusé pendant des années toute enquête sur la pédocriminalité en son sein, n'a pas voulu participer aux travaux de la commission. Elle a toutefois accepté de lui remettre en mars des informations sur les cas de pédocriminalité collectées par les diocèses.
Confrontée à une pression politique croissante et à des accusations d'obstruction, elle avait fait un premier pas en février 2022 en lançant son propre audit externe, confié à un cabinet d'avocats. La publication est prévue à la fin de l'année.
"Les évêques présents ont exprimé leur douleur pour le mal causé à certains membres de l'Église (...) et ont réitéré leur demande de pardon aux victimes"
, a déclaré dans un communiqué la Conférence épiscopale espagnole (CEE) à l'issue d'une assemblée extraordinaire pour expertiser le rapport de la commission d'enquête indépendante.
"Les abus commis dans l'Église font mal. L'extrapolation des données obtenues dans une enquête jointe au rapport est également surprenante"
, a toutefois affirmé la CEE.
"Elles ne correspondent pas à la vérité et ne représentent pas non plus l'ensemble des prêtres et des religieux qui travaillent loyalement et avec dévouement (...) au service du Royaume"
, ajoute le communiqué.
Mardi matin, la CEE doit organiser une conférence de presse sur le sujet.
Dans leur communiqué, les évêques ont également affirmé que les mesures proposées dans le rapport étaient
et ont manifesté leur volonté de travailler conjointement avec la commission afin de
"mettre fin à ce fléau qui affecte toute la société".
Samedi, le cardinal Juan José Omella avait déclaré sur X que
"les chiffres extrapolés par certains médias"
étaient des
"mensonges visant à tromper".
Selon Omella, l'Église espagnole aurait connaissance de
L'an dernier, la CEE avait commandé un audit pour recenser les cas de violences sexuelles au sein de l'institution religieuse auprès d'un cabinet d'avocats, lequel a demandé plus de temps pour terminer son enquête.