Mais les rares rues partiellement goudronnées de cette
d'un Sud peuplé principalement de chrétiens et animistes sont celles où sont installés les commerçants et entrepreneurs musulmans et les administrations d'un pouvoir central archi-dominé depuis plus de 40 ans par des clans du Nord et de l'Est, très majoritairement musulmans.
La présidentielle de lundi, avec les candidatures du général et président Mahamat Idriss Déby Itno, grand favori, et de son Premier ministre sudiste Succès Masra, risque d'attiser ce que l'historien Lambo Beguerem qualifie de
"gangrène pour la cohésion sociale et l'unité"
de son pays, dans son livre "Le clivage Nord-Sud au Tchad"(éd. Edilivre, 2023).
Le sud fertile est le fief de l'opposition depuis 1979, quand une rébellion de clans du Nord et de l'Est a renversé le pouvoir dominé, depuis l'indépendance de la France en 1960, par les chrétiens sudistes des présidents François Tombalbaye puis Félix Malloum.
Après huit années d'une terrible répression sous Hissène Habré (1982-90), une grande partie de la population sudiste s'estime toujours ostracisée politiquement, et spoliée économiquement par le clan zaghawa de la "dynastie Déby", originaire de l'Est, et ses alliés du Nord.
Tué par des rebelles en 2021 après 30 ans de règne d'une main de fer, Idriss Déby Itno a été remplacé par l'armée par son fils Mahamat, grand favori de la présidentielle à 40 ans.
Masra, 40 ans aussi, originaire de Beboni, à moins de 100 km de Moundou où il a déclenché une véritable marée humaine en campagne fin avril, apparaît donc comme le porte-étendard de ces sudistes qui se sentent abandonnés.
"Ici, quand quelque chose ne nous plaît pas, on le dit. Et de la même manière à un chef qu'à un simple citoyen, nous ne considérons pas que les chefs sont sacrés, contrairement au Nord",
pointe Joachim Kouraleyo Tarounga, l'évêque de Moundou.
Le prélat invoque aussi les différences culturelles, découlant souvent du religieux. Ainsi, l'application de la diya est très mal vécue, cette justice coutumière issue du Coran, "le prix du sang", compensation financière à la famille d'une victime d'un homicide, volontaire ou involontaire.
, s'émeut Sylver Tamaïbe, 33 ans, juriste à l'Union des femmes pour la paix (UFEP) à Moundou.
"Le montant est toujours au désavantage des personnes du Sud dans un conflit avec quelqu'un du Nord, victime comme coupable",
assure-t-il.
Les conflits entre agriculteurs autochtones et éleveurs nomades venus du Nord provoquent des affrontements très meurtriers dans le Sud, n'épargnant ni femmes ni enfants des deux camps.
"Après 1979, des éleveurs du Nord, des familles d'officiers de l'armée, se sont imposés par les armes en tuant et volant des cheptels entiers",
accuse Mbaïndo Djasnabeye, cadre de l'Association tchadienne pour la non-violence (ATNV) à Moundou.
Mais les graines de la discorde sont aussi économiques.
Le Sud abrite les activités économiques les plus prospères, comme le coton et le pétrole, mais ne profite pas de leurs mannes.
A Doba, dans le Sud, d'où est extrait l'essentiel du pétrole tchadien, il n'y a quasiment pas de réseau électrique et les élèves apprennent dehors, au pied des derricks. Mais à Amdjarass, berceau des Déby dans le désert, l'électricité alimente des centaines de villas de luxe inhabitées.
"L'économie est florissante dans le Sud, mais majoritairement aux mains des nordistes",
déplore Golmadji Sanambaye, 50 ans, coordinateur du Comité de suivi de l'appel à la paix et à la réconciliation (CSAPR).
"En tant que sudiste je ne suis pas opprimé par le Nord, mais par un régime",
corrige-t-il.
"Si un sudiste veut se lancer dans le transport ou les stations d'essence, on lui met des barrières ou on le force à vendre",
dénonce aussi M. Djasnabeye.
Les musulmans composent un peu plus de la moitié de la population du Tchad, les chrétiens environ 40% et les animistes 10. Mais, en dehors des centres urbains du Nord, comme N'Djamena et son million et demi d'habitants, le Sud fertile est le plus densément peuplée.
"Nous avons les mêmes diplômes que ceux du Nord mais impossible d'avoir un emploi si on n'est pas proche du pouvoir",
s'énerve un étudiant de 22 ans de l'Université de Moundou, qui refuse de donner son nom
"par peur des représailles"
mais votera "Masra".
"La fracture Nord-Sud pourrait s'aggraver avec les résultats des élections",
redoute Sali Bakari, enseignant-chercheur à l’École normale supérieure de N'Djamena.