Les avocats des condamnés et leurs familles ne comprennent pas l'ampleur de ces condamnations qui portent selon eux atteinte à l'Etat de droit.
Vendredi 20 décembre, il est 20 heures passées lorsque la Cour d'Assises spéciale de Paris rend son verdict au terme de sept semaines de procès dans l'affaire de l'attentat qui a coûté la vie à Samuel Paty le 16 octobre 2020 à la sortie du collège du Bois d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).
a alors lancé le Président Franck Zientara, alors qu'une véritable chape de plomb planait sur la salle d'audience pleine à craquer.
Si les huit accusés ont tous été déclarés coupables, les qualifications pénales et les peines prononcées à l'égard de quatre d'entre eux, ont provoqué incompréhension et sidération.
Abdelhakim Sefrioui et Brahim Chnina ont été respectivement condamnés à 15 ans et 13 ans de réclusion criminelle pour des faits qualifiés d'AMT (association de malfaiteurs terroriste), tandis que Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov ont tous deux été condamnés à 16 ans de réclusion pour des faits qualifiés de complicité d'assassinat terroriste.
De fait, la Cour, qui a pourtant reconnu, au moment du délibéré qu'il
que Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui ont
"souhaité l'issue fatale"
qui a été réservée à Samuel Paty, et qu'il
que Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov
"étaient avisés de l'intention d'Anzorov de donner la mort à Samuel Paty"
, a balayé les réquisitions du PNAT (parquet national antiterroriste).
Celui-ci, mis en cause par les avocats des parties civiles pour un prétendu
avait pourtant requis qu'ils soient tous les quatre condamnés pour AMT, et réclamait 16 ans de réclusion contre Epsirkhanov, 14 ans contre Boudaoud, 12 ans contre Sefrioui, et 10 ans contre Chnina.
Ces derniers ont en toute logique fait appel de leurs condamnations respectives, et seront donc au coeur d'un nouveau procès, qui ne devrait pas intervenir avant un ou deux ans.
Dans le détail, la Cour d'Assises justifie sa décision en soulignant que
"les faits d'une barbarie absolue constituent une atteinte irrémédiable aux valeurs de la République, notamment à la laïcité, et au sanctuaire qu'est l'école, causant un émoi considérable dans le pays, plus particulièrement dans le corps enseignant et un traumatisme définitif et durable notamment pour (le fils de Samuel Paty) de 5 ans".
Mais si tous reconnaissent naturellement le caractère abominable de l'assassinat de l'enseignant par le terroriste Abdoullakh Anzorov, les avocats des condamnés et leurs familles ne comprennent pas l'ampleur de ces condamnations qui portent selon eux atteinte à l'Etat de droit.
Interrogé par Anadolu, Maître Ouadie Elhamamouchi, qui défend Abdelhakim Sefrioui, pointe
"une extension jurisprudentielle vertigineuse de la qualification d'association de malfaiteurs terroriste qui pourrait se voir appliquée dans de multiples situations".
"Alors qu'il n'est absolument pas en lien avec le terroriste, alors que sa vidéo n'a jamais été vue par le terroriste, et que tout le monde est unanime et a pu l'observer durant cette audience, aujourd'hui, on n'en tire pas les conséquences"
souligne l'avocat qui considère qu'en vertu de la décision rendue vendredi:
N'importe quel militant ou groupe de militants pourrait se voir attribuée et appliquée cette qualification d'association de malfaiteurs terroriste.
Et le sentiment est sensiblement le même du côté de Maître Nabil El Ouchikli, qui assure la défense de Brahim Chnina et qui estime que:
La décision rendue le 20 décembre marque un recul, voire un abandon de l'Etat de droit.
Et de poursuivre auprès d'Anadolu:
"Au-delà de consacrer la condamnation d'un homme innocent, cette décision revient sur nos principes fondamentaux en matière de droit pénal, notamment s'agissant de la responsabilité pénale du fait d'autrui ou de la nécessité de caractériser un élément intentionnel pour une infraction criminelle".
L'avocat, qui confirme qu'un appel a été interjeté au nom de Brahim Chnina, étrille un verdict
"qui n'est ni humainement, ni juridiquement acceptable".
Dans un entretien exclusif à Anadolu, l'une des filles de Brahim Chnina, déplore
"une décision qui ne relève aucunement du droit".
La jeune femme ne comprend pas comment son père
"peut-être puni pour un crime abominable qu'il n'a ni commis ni envisagé".
"Après sept semaines face à la justice, je peine toujours à comprendre le verdict rendu par ces professionnels du droit. J'ai mis ma vie entre parenthèses pour assister à chaque audience car j'avais besoin de comprendre les tenants et aboutissants de cette affaire".
Ce que j'ai vu et compris, c'est que rien, dans le dossier, ni d'ailleurs dans la vie de mon père, ne permet de le relier à une organisation criminelle terroriste.
"S'il doit être jugé, c'est pour ce qu'il a fait: une vidéo"
, explique la fille de Brahim Chnina qui attend désormais
"avec patience le second procès, dans l'espoir que justice et vérité soient enfin rendues".
S'ils n'étaient pas mis en cause dans le même volet de cette affaire aux relents très politiques, les proches d'Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud ont la même lecture de la décision et ne comprennent pas la qualification de complicité d'assassinat terroriste dans la mesure où la Cour a reconnu n'avoir aucun élément tendant à prouver qu'ils étaient informés du projet macabre d'Abdoullakh Anzorov.
Depuis le début, ce dossier montre qu'ils ne savaient rien du projet d'attentat.
"Ils ont été utilisés par Anzorov et se retrouvent aujourd'hui condamnés à des peines sidérantes qui anéantissent leur vie et leur avenir de manière définitive"
souffle à Anadolu une proche pour qui
"le verdict sonne comme la pire des injustice pour des jeunes qui sortaient à peine de l'adolescence, et qui sont brisés à jamais, en payant pour les actes d'un autre".
La sévérité des peines, qui ont largement dépassé les réquisitions du PNAT pour certains accusés, a provoqué de vifs débats notamment sur les réseaux sociaux, entre ceux qui auraient souhaité que les prévenus soient condamnés comme s'ils étaient les auteurs directs du crime d'Anzorov, et ceux, qui ne comprennent pas qu'ils soient aussi durement condamnés sans avoir jamais eu connaissance du projet.
Parmi les rares personnalités à avoir pris le risque de se positionner publiquement en ce sens, le politologue François Burgat confie à Anadolu avoir été
par la sanction et explique que
"quelle que soit notre appréciation de la personnalité d'Abdelhakim Sefrioui, sa condamnation doit générer une protestation unanime".
"Celle-ci fait franchir à notre société, un rubicon particulièrement inquiétant. Si demain vous militez contre la chasse et que vous apprenez qu'un excité dont vous ignorez tout décide de se manifester par un attentat criminel contre un chasseur, vous (ou moi) pourrez passer 15 ans de votre vie derrière les barreaux pour association de malfaiteurs terroriste avec un criminel dont vous n'avez jamais croisé la route"
grince François Burgat pour qui
"c'est une drôle de façon d'honorer la mémoire de Samuel Paty".
#France
#Samuel Paty
#Procès
#François Burgat
#État de droit
#Verdict