Le 13 janvier 2015, Abdourahmane Ridouane, président de la mosquée Pessac en Gironde engagé contre le génocide à Gaza, sera jugé pour “apologie du terrorisme”. Des militants de tout bord dénoncent un acharnement.
Depuis près de dix ans, ce ressortissant nigérien est la cible d’une série d’actions administratives et judiciaires initiées par les autorités françaises. Son tort ? Avoir dénoncé l’islamophobie d’Etat et plus récemment le génocide à Gaza. Son jugement pour “apologie du terrorisme” se tiendra le 13 janvier.
Une chronologie marquée par des perquisitions, des fermetures arbitraires et des tentatives répétées d'expulsion, malgré plusieurs décisions favorables de la justice.
Un acharnement judiciaire aux allures de vendetta politique
Tout commence en 2015, avec l'ouverture de procédures administratives contre Abdourahmane Ridouane par la Préfecture de la Gironde. Les premières perquisitions, menées en 2020, n'ont abouti à aucune charge et ont été classées sans suite.
Une gestion qui est à l’inverse de celle souhaitée par les autorités françaises, qui souhaitent n’avoir à faire qu'à des présidents d’associations musulmanes mus en relais de la préfecture ou à des représentants de l’Islam consulaire.
L’Islam indépendant, cible du gouvernement Macron
Pour M. Ridouane, et pour tant d’autres responsables associatifs souhaitant se détacher de la tutelle de l’Etat ainsi que des consulats étrangers et aujourd’hui dans le collimateur des autorités française, cette volonté de s’immiscer dans l’organisation du culte musulman et d’imposer des interlocuteurs non représentatifs de la communauté musulmane est une atteinte à la laïcité, qui est, rappelons le, la stricte séparation de l’Etat et des religions.
Loi séparatisme et islamophobie d’Etat
L’Islam a beau ne pas reconnaître de clergé et la République être laïque, Place Beauvau usera de tout ce qui est en son pouvoir pour marginaliser et excommunier, à l’instar d’une inquisition laïque qui ne dit pas son nom, les musulmans ayant eu le tort de croire qu’ils pouvaient exercer leur liberté de culte sans lui prêter allégeance.
Si elles ont commencé à tomber dès 2015 pour la mosquée de Pessac, les foudres du ministère n’ont cessé de s’abattre depuis l'élection d’Emmanuel Macron et la nomination de Gérald Darmanin à la tête de Bauveau. Le “cardinal” Darmanin, à l’heure où l’insécurité en France n’a jamais été aussi grande, a ainsi mobilisé son ministère non pas pour faire cesser le trafic de drogue ou les tueries liées au narcotrafic à Marseille, mais pour fermer des établissements musulmans dénonçant l’islamophobie des services de l’Etat, sous couvert de mesures administratives échappant à tout contrôle judiciaire.
Acharnement contre la mosquée de Pessac
Sitôt la loi séparatisme promulguée, Gérald Darmanin a repris sa chasse aux sorcières contre la mosquée de Pessac. Le 14 mars 2022, un arrêté préfectoral ordonne la fermeture de la mosquée de Pessac. Une décision immédiatement contestée par le Tribunal Administratif de Bordeaux qui donne raison à la mosquée le 22 mars. Le ministère persiste en appel, et perd une seconde fois. Le 26 avril, l’affaire est portée devant le Conseil d'État qui donne encore une fois de plus raison à la mosquée de Pessac.
Ainsi, le 2 mai 2024, la Préfecture de la Gironde émet une procédure d'expulsion contre Abdourahmane Ridouane. Emmanuel Macron avait depuis été réélu et son ministère de l’Intérieur avait pu mettre en œuvre les disposition d’expulser les imams non désireux de se soumettre à ses volontés.
Place Bauveau reproche alors à l’intéressé de constituer une menace pour l’ordre public. Le ministère de l’intérieur a depuis sa dernière salve expérimenté l’expulsion des imams et religieux dont, avec la très médiatisée affaire Iquioussen, véritable fiasco pour Darmanin. Pour rappel, Hassan Iquioussen avait lui-même quitté le territoire français, privant les autorités françaises d’une photo de l’imam interpellé par des policiers français.
Laisser-passer consulaire
Là encore, la justice intervient. Et, le 31 mai, la Comex de Bordeaux émet un avis défavorable à l'expulsion d’Abdourahmane Ridouane qui est assigné à résidence. Pour le gouvernement, le but de cette mesure est d’empêcher M. Ridouane de quitter lui-même le pays et d'éviter une seconde humiliation après l’affaire Iquioussen. Le 1er août, le Tribunal Administratif de Bordeaux pour le renouvellement de son titre de séjour.
Mais le 5 août 2024, Gérald Darmanin signe un avis ministériel d'expulsion. Abdourahmane Ridouane est interpellé le 8 août et placé en détention au CRA de Mesnil Amelot, en région parisienne. Malgré une demande de suspension, le Conseil d'État valide finalement la procédure d'expulsion le 17 septembre.
Mais il y a un hic pour le gouvernement français: le passeport de M. Ridouane est introuvable et les autorités du Niger, brouillées avec Paris, refusent de délivrer le laisser-passer consulaire pour expulser Abdourahmane Ridouane.
Le 30 octobre 2024, Abdourahmane Ridouane est placé en garde à vue pour "apologie du terrorisme". Une accusation grave, mais largement perçue par ses soutiens comme une manœuvre politique visant à discréditer un acteur du vivre ensemble.
Des accusations infondées
Il faut souligner que ces dernière années, le délit d'"apologie du terrorisme" est devenu un outil juridique pour le moins controversé, décrié par ceux-là même qui ont voulu cette loi. Initialement conçu pour prévenir la propagation d'idéologies extrémistes, il est désormais fréquemment invoqué contre des militants, syndicalistes, journalistes ou citoyens exprimant des opinions critiques à l'égard des politiques gouvernementales.
De nombreux observateurs dénoncent une utilisation arbitraire de cette accusation, soulignant qu'elle sert parfois à réduire au silence des opposants politiques ou à instaurer un climat de peur. Les frontières entre critique légitime et apologie réelle deviennent de plus en plus floues, ce qui ouvre la voie à une censure déguisée.
Le cas d’Abdourahmane Ridouane ne fait pas exception. En près de quarante ans de présence en France, M. Ridouane n’a jamais été condamné pour un quelconque propos. Soudainement, il aurait fait l’apologie du terrorisme. Personne n’est dupe dans l’environnement militant. Concrètement, le seul fait qu’a exploité le ministère de l’Intérieur pour retenir ces charges est un message de condoléances suite au décès d’Ismail Haniyeh, chef du mouvement de résistance palestinien Hamas.
Adresser un message de condoléance pour le décès d'Haniyeh, qui fut de son vivant l’interlocuteur d’Israël et des pouvoirs régionaux, au point d'être invité au parlement turc, en sachant que la Türkiye est membre de l’OTAN, peut-il être qualifié d’apologie du terrorisme ? “Il n’y a aucune preuve de cela”, martèle l’avocat de M. Ridouane, Maître Guez Guez.
Une affaire symbolique pour les libertés fondamentales
L'acharnement contre Abdourahmane Ridouane dépasse son cas personnel. Il est révélateur de la politique du gouvernement français à l’endroit des musulmans. L'affaire Ridouane soulève des questions fondamentales sur la séparation des pouvoirs, la liberté d’expression, la laïcité et la liberté religieuse en France. Valeurs dont le gouvernement français se targue mais qu’il est le premier à bafouer.
Les voix s'élèvent aujourd'hui pour réclamer une justice impartiale et la fin d'une vendetta politique qui fragilise le vivre ensemble.
Face à cette situation alarmante, un comité de soutien s'est formé autour d'Abdourahmane Ridouane. Conscient de l'urgence et de l'importance de la défense juridique, le comité a lancé une cagnotte solidaire pour couvrir les frais liés aux différentes procédures judiciaires.
Le 13 janvier, tous espèrent que le droit français soit appliqué au tribunal, et non pas l’opinion zélote du gouvernement.