Diffusées moins de deux heures après le tir qui a atteint Nahel au thorax, les images du contrôle routier de mardi à Nanterre ont choqué jusqu'au sommet de l'Etat, changé le cours de l'enquête et engendré trois nuits consécutives d'émeutes dans le pays.
Dix jours plus tôt, suscitant un écho bien moindre, Alhoussein Camara était tué lors d'un contrôle routier à Saint-Yrieix (Charente).
A quelques jours de distance, ce double exemple vient illustrer l'importance de la preuve vidéo dans ces dossiers.
Si l'affaire récente la plus emblématique a éclaté aux Etats-Unis, avec l'agonie de George Floyd sous le poids d'un policier en 2020 à Minneapolis, les écrans français ont eux aussi été saturés d'images vidéo, comme lors du mouvement de contestation sociale des "gilets jaunes" en 2018-2019.
Depuis des années, la France s'inscrit dans la pratique américaine du "copwatch" (filmer la police pour faire connaître des dérives).
Dès 2008, le futur réalisateur Ladj Ly avait filmé la violente arrestation d'un jeune, chez lui à Montfermeil, dans le département le plus pauvre de la France métropolitaine, la Seine-Saint-Denis, entraînant la condamnation des policiers. Ce fait divers a nourri, des années plus tard, le scénario de son film multiprimé "Les Misérables".
La mort d'un livreur, Cédric Chouviat, à Paris lors d'un contrôle routier houleux en janvier 2020, a ainsi été documentée grâce à un appel à témoignages, qui avait montré l'"étranglement arrière" ayant amené cet homme au sol avant sa mort, une technique absente du compte rendu initial d'intervention.
D'autres vidéos, à l'origine plus inattendues, ont aussi changé le cours de dossiers.
Michel Zecler, producteur de musique noir tabassé par des policiers en novembre 2020 à Paris, a d'abord été visé par une enquête pour rébellion et violences volontaires.
Mais les images de vidéosurveillance privée de la scène, diffusées par Loopsider dans le tweet le plus partagé en France en 2020, ont permis de classer la procédure et d'incriminer quatre policiers.
On aurait fait de cette victime le parfait voyou.
Il n'y a plus de discussions possible.
La mort en 2016 de son frère, Adama Traoré, 24 ans, à la suite de son interpellation par des gendarmes, n'a été documentée par aucune image.
Ce dossier, devenu l'incarnation française des violences des forces de l'ordre, témoigne de la difficulté de se passer d'images. L'enquête, qui peine à s'achever, repose uniquement depuis sept ans sur des témoignages contradictoires et des batailles d'expertises médicales.