Jacques Chirac avait publiquement admis que la France ne serait pas la puissance qu'elle est sans l'Afrique. Emmanuel Macron vient, d'une autre façon, de confirmer cette réalité. C'est que pour abandonner l'Elysée, depuis mercredi dernier jusqu'à dimanche, en une période socialement trouble, où notamment la bataille de "sa" réforme des retraites fait rage, le continent devait représenter, pour lui et pour l'économie de la France, un enjeu autrement plus important, voire vital.
Il avait même choisi et annoncé le slogan sous lequel il allait se rendre au Gabon, en Angola, au Congo Brazzaville et en République démocratique du Congo : "co-construction et humilité". Il n'avait pas tort...
Depuis l'aube des indépendances en Afrique, plusieurs voix s'élevaient déjà, pour dénoncer que l'exploitation, voire le pillage, des ressources par les anciens colonisateurs continuait, avec la complicité de dirigeants qui, souvent, cherchaient davantage à se maintenir au pouvoir et à en profiter, qu'à s'atteler à mener de grandes restructurations économiques et sociales, dont ils n'avaient d'ailleurs pas les moyens techniques et humains.
La France, omniprésente dans de nombreux pays d'Afrique, puisait ainsi dans leurs immenses richesses et pour que cela durât, elle alternait soutiens à des régimes "alliés" et interventionnisme où l'humanitaire cachait mal les intérêts politico-économiques.
Avec la multiplication des intelligentsia militantes et des voix conscientes de la mainmise hexagonale, avec le consentement de dirigeants complices, un vent d'une nouvelle libération africaine s'est levé, accompagné d'une expansion de ce sentiment d'hostilité vis à vis de la France, dont on dénonçait ouvertement le comportement "en terres conquises", les "prétendues" aides de développement qui proviennent d'une partie de l'exploitation massives des richesses de leurs pays avec, de surcroît, un paternalisme affiché.
Le joug devenant pesant, d'un côté, et la pression interne conséquente, de l'autre, plusieurs dirigeants africains ont commencé à monter des velléités de rébellion, poussant Emmanuel Macron à faire amende honorable et à reconnaître certaines des horreurs commises par son pays, en ouvrant jusqu'aux archives secrètes nationales.
Mais comme les intérêts de la France passent avant tout, il n'a pas su ou voulu jusqu'à la semaine dernière, agir avec une nouvelle approche d'égal à égal pour une coopération gagnant-gagnant. La dimension hégémonique n'était pas vraiment dépassée. Le sentiment d'hostilité et de riposte, non plus. La sortie du Mali et du Burkina Faso en est une conséquence.
C'est en cela qu'il avait raison de placer sa tournée de la semaine dernière en Afrique de l'Est, sous le signe "co-construction et humilité". Il s'est, en effet, rendu à l'évidence que les temps de l'arrogance conquérante, du profit à sens unique, à travers des dirigeants complices et du mirage des aides au développement, sont révolus. Il a aussi réalisé que son pays a beaucoup perdu, pour ne pas s'en être rendu compte, plus tôt.
Changer d'attitude et proposer un partenariat win-win équitable s'imposait, d'autant que d'autres puissances s'étaient empressées de profiter du recul français, pour s'implanter sur le continent et voir leur coopération ainsi que leurs affaires y prospérer. A la Chine, à la Russie et même les États Unis, il faut ajouter aussi la Türkiye et l'Inde, solidement installées.
La part des intérêts économiques de la France qui a, pendant des décennies post-indépendance, régné sur la majeure partie de l'Afrique, s'y est réduite à 4%, alors que ceux de la Chine, par exemple, y sont montés à 18.
C'est donc dans l'humilité qu'Emmanuel Macron a entrepris son périple est-africain pour reconquérir le terrain perdu, espérant effacer l'image du "gendarme retors du continent" qui colle à son pays et, par là-même, atténuer la rancœur et l'hostilité ressenties à son égard.
Si au moins le rapprochement avec l'Algérie, cause de cette réplique, avait duré. En effet, le président gabonais et son homologue français sont assez proches (ils ont organisé le 1er Sommet des forêts), au point que l'opposition a crié au soutien qu'elle prête à ce dernier de vouloir apporter à Bongo, pour une autre réélection.
Il aurait pu, également, se passer de cette image où on le voit descendre de la voiture officielle, à l'entrée d'un palais présidentiel, avant d'enfiler sa veste. Laisser aller ? Désinvolture naturelle ? Peut-être, mais des observateurs y ont décelé un geste sans-gêne aux relents de colonisateurs.
Mais c'est au cours de la conférence de presse de Kinshasa, déjà évoquée et dont il voulait faire le Point d'orgue de son voyage est-africain, qu'il perdra complètement les pédales.
*Les opinions exprimées dans cette analyse n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de Nouvelle Aube.
**Slah Grichi, journaliste, ancien rédacteur en chef du journal La Presse de Tunisie.