La rencontre tenue du 09 au 11 mars 2023 a surtout servi d’occasion pour lancer une campagne internationale pour la défense des systèmes semenciers paysans.
Sous un hangar où elle tient son stand, Thérèse Pulchérie Méthé, une foraine camerounaise expose des semences qu’elle a amenées.
Il y a des grains de maïs rouge, des arachides blanches ou encore des pistaches. D’après l’agricultrice, ces semences qui étaient en voie de disparition ont survécu grâce au travail abattu par le Réseau des acteurs du Développement Durable (Rad), une organisation qui s’active dans l’agro écologie au Cameroun.
"Depuis l’an 2000, nous avons décidé de sauver nos semences paysannes qui sont nos valeurs culturales et culturelles. Nous ne pouvons les laisser mourir et continuer à manger ce qui nous rend malade,"
explique Mme Méthé aux visiteurs de son stand, visiblement très captivés par son discours.
Comme cette exposante camerounaise, tous les participants à la foire des semences paysannes de Zoungbonou sont unanimes que les semences paysannes sont fortement menacées de disparition.
Rahim Ba qui dirige la ferme agro-écologique des ‘’quatre chemins’’ située à Toubab-Dialaw non loin de Dakar estime que chez lui au Sénégal, l’heure est grave.
"A notre grande surprise, la loi sur l’autorisation d’introduction des OGM
(organismes génétiquement modifiés)
a été votée en catastrophe en juin 2022 sans consulter les paysans. C’est une grande menace pour les semences paysannes",
s’indigne-t-il. Il assure que le monde rural ne se laissera pas faire.
Actuellement la société civile sénégalaise se mobilise pour que le président Macky Sall ne promulgue pas cette loi. A la foire, les dirigeants sont accusés d’ouvrir les porter de l’Afrique aux Ogm et aux semences améliorées au laboratoire alors que les semences paysannes sont laissées-pour-compte.
La béninoise Marie Aguéwé qui dirige l’Association nationale des femmes agricultrices du Bénin (Anaf Bénin) est très amère quand elle évoque la question.
"Les dirigeants politiques donnent la priorité aux semences améliorées parce qu’ils disent qu’elles sont plus productives que nos semences"
.
D’après elle, ces décisions ont déjà conduit à la perte de plusieurs variétés de semences paysannes.
"Je vous donne l’exemple d’une légumineuse que je viens redécouvrir sur le stand de nos frères togolais. C’est une culture que mon père faisait dans mon champ d’ignames mais depuis quinze je ne l’ai perdue de vue. Je vais repartir avec les semences pour reproduire et voir le résultat,"
raconte-t-elle.
Cette rencontre du monde agricole a été aussi meublée par des conférences débats sur les mécanismes à développer pour s’imposer et obliger les autorités à prendre au sérieux les semences paysannes.
Le juriste nigérien Ibrahim Diori qui est un activiste sur les droits des paysans africains a signalé que les Etats de l’Afrique de l’Ouest sont en train de tendre progressivement vers des législations qui favorisent les Ogm.
Pour lui, les règlements communautaires de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa) et la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) sur la certification des semences visent uniquement à créer un espace commerciale pour favoriser les multinationales au détriment des paysans.
"Le risque qu’il y a, c’est qu’il y aura un moment où nos prisons seront peuplées de paysans parce qu’ils auraient vendu des semences. Il se dessine, une dynamique de criminalisation de commercialisation de semences non certifiées",
prévient M. Diori.
Les semences paysannes, la seule option pour garantir la sécurité alimentaire en Afrique
La foire paysanne de Zoungbonou au Bénin s’est tenue autour du thème "Droits des Paysans et des peuples face à la montée en puissance des organismes génétiquement modifiés dans l’alimentaire et dans l’agriculture en Afrique".
Parmi les participants, Mariama Sonko fait figure pionnière. Cette sénégalaise présidente de ‘’Nous Sommes la Solution’’, une association qui rassemble des femmes paysannes venant de huit pays d’Afrique de l’Ouest a participé à toutes les dix éditions. Elle estime que toutes les maladies qui envahissent le continent africain sont la conséquence de la mauvaise alimentation.
"Nos grands-parents vivaient longtemps et on n’entendait pas parler de diabète, d’hypertension, d’Avc
(accident vasculaire cérébral)
et autres cancers parce qu’ils se nourrissaient bien,"
avance-t-elle. Pour elle, les aliments à base d’Ogm ou de semences améliorées sont des poisons lents pour les êtres humains et les animaux qui en consomment.
Les forains sont convaincus que seules les semences paysannes sont en mesures d’assurer la sécurité alimentaire sur le continent. C’est la leçon que retient Omer Agoligan de la guerre en Ukraine. Installé à Djougou le nord du Bénin, il est membre de l’Organisation des ruraux pour une agriculture durable (Orad).
Il note que dans cette guerre les pays européens ne pensent qu’à eux.
"Lorsqu’il avait pénurie d’engrais et que président Poutine en avait lâchés, les gens n’en ont pas laissé venir ici. Ils ont tout amené dans leurs pays. Lorsque les russes ont aussi levé le blocus sur le blé, on n’a rien vu en Afrique donc ces exemples suffisent pour que nos Etats comprennent que lorsqu’on lance la pierre, chacun tient sa tête",
commente-t-il.
Il appelle les dirigeants africains à tirer des leçons de ces situations et se miser sur les paysans s’ils veulent vraiment aller à la souveraineté alimentaire.
Mamadou Goïta agro-écologiste malien et un membre d’honneur de l’Alliance africaine pour la souveraineté alimentaire (Asfa en anglais) donne en exemple le cas de la pandémie du Covid 19.
"La dépendance de l’extérieur par rapport aux semences est suicidaire. En Afrique de l’Ouest les maraichers par exemples sont obligés de se tourner vers Les Pays Bas pour plusieurs semences et pendant la crise du Covid quand toutes les frontières étaient fermées, on a vu comment ils ont souffert",
rappelle M. Goïta qui conseille aux Chefs d’Etat de prendre les bonnes décisions après avoir pris conscience de ce danger.
Une campagne africaine pour la défense des systèmes semenciers paysans
Pendant les trois jours de la foire, les acteurs du monde rural ont surtout débattu des actions à mener pour redorer le blason des semences paysannes. Les tenants de la ligne dure comme le juriste Ibrahim Diori qui appellent les paysans à se mobiliser pour un rapport en leur faveur. Il soutient que c’est l’unique option pour obliger les gouvernants à redonner aux semences paysannes, la place qui leur revient dans les politiques agricoles.
La présidente de l’association ‘’Nous sommes la solution’’ estime de son côté qu’il faut expliquer les enjeux aux dirigeants et les convaincre de la nécessité de préserver les semences paysannes. Mariama Sonko indique aussi qu’il faut maintenant passer à l’action pour changer les idées que beaucoup se font des semences paysannes.
Elle invite les chercheurs des universités à s’intéresser aux semences locales comme ils le font avec les semences améliorées.
Mme Sonko assure que contrairement à ce que beaucoup pensent, les semences paysannes sont très productives et résilientes face aux changements climatiques.
"Très souvent, les chercheurs ne se penchent que sur l’aspect profit alors que ces semences présentent d’autres caractères connues par nos ancêtres. Elles nous lient par exemple avec nos traditions et nos valeurs, les perdre, revient à perdre une partie de notre identité,"
développe la présidente de ‘’Nous sommes la solution’’.
Les participants ont tous salué la tenue des foires qui leur permettent d’échanger des semences afin d’assurer leur pérennité. Les forains ont aussi été encouragés à créer des ‘’case de semences’’ dans le monde paysan pour constituer d’importantes réserves de semences paysannes.
A la clôture de cette troisième édition tournante de la foire des semences paysannes, l’Alliance africaine pour la souveraineté alimentaire a lancé une Campagne pour la défense des systèmes semenciers paysans sur le continent. Sur plusieurs années, l’association va entreprendre des actions dans plusieurs pays pour sensibiliser sur la nécessité pour l’Afrique de préserver et promouvoir son capital semencier paysan.
Cette foire des semences paysannes organisée par le Comité Ouest-Africains des semences paysannes (Coasp) a aussi vu la participation d’un représentant de l’Ong française ‘’Alternatives agro-écologiques et solidaires (Sol).
Maxime Schmitt, Coordinateur Réseaux de la Maison de Semences Paysannes Maralpines de la ville française de Nice a annoncé l’organisation d’une plus grande rencontre sur les semences paysannes en 2024 en France.
"Dans les grandes lignes, c’est d’inviter les praticiens et praticiennes des semences paysannes. On va accueillir des paysans du monde entier et leur donner les moyens de se rencontrer pendant de nombreuses journées pour échanger surtout des savoirs sur comment s’organiser collectivement",
explique M. Schmitt.