Crédit Photo : Abadjaye Justin SODOGANDJI / AFP
Des légumes sont exposés au marché Dantokpa, l'un des plus grands marchés en plein air d'Afrique de l'Ouest, à Cotonou, le 29 février 2024.
Odette Adigbe, commerçante de 56 ans, n'est pas la seule à appréhender la délocalisation de l'immense marché de Dantokpa, l'un des plus grands d'Afrique de l’Ouest, situé au cœur de Cotonou, la capitale économique du Bénin.
"Notre peur avec les nouveaux sites que l'on nous propose, c'est que si nous bougeons, nous allons perdre la clientèle",
explique-t-elle derrière son étalage d'huile et de légumes.
Le gouvernement béninois a décidé de détruire ce marché de 19 hectares pour cause d'insalubrité et prévoit d'installer ses commerçants d'ici 2026 dans 35 nouveaux marchés en construction à Cotonou et en périphérie.
Aucune date n'a encore été annoncée, mais les commerçants savent que l'échéance approche.
Au cours des dernières années, le marché de Dantokpa a connu des incendies répétitifs, souvent difficiles à maîtriser pour les pompiers en raison de l'accès restreint aux lieux des départs de feu. Ces incendies, ajoutés aux conditions d'insalubrité du marché, traversé par des égouts et des caniveaux putrides, ont convaincu les autorités béninoises de lancer ce projet de rénovation ambitieux.
"La question de l'insalubrité est un faux problème. Le marché était déjà dans cet état quand j'ai démarré mes activités il y a 20 ans",
réagit Odette Adigbe.
"Si c'est un problème de salubrité, on peut prendre des mesures d'assainissement au lieu de nous déloger de force"
, ajoute-t-elle.
Une divinité protectrice en question
Face aux craintes, Mahougnon Aguèmon Amzat, chef du quartier abritant le marché, tente de rassurer les commerçants.
Je ne plaide pas pour la délocalisation, je plaide pour l'épanouissement des clients et des vendeuses du marché.
Selon lui, les nouveaux sites offrent plus d'espace et des infrastructures adéquates.
"Personne n'est venu nous voir. Nous n'avons aucune information. Nous savons qu'ils ont construit un marché à Akassato et entendons dire que des gens doivent rejoindre le site. Mais qui et dans quelles conditions, personne n'en sait rien",
déplore Edith Agassin, la cinquantaine.
"Ici, nous avons déjà du mal à faire des ventes. Imaginez qu'on soit obligées d'aller sur le nouveau site",
ajoute Brigitte Akloué Mahoutin, 60 ans, vendeuse de volailles à Dantokpa depuis plus de 40 ans.
Les commerçants, souvent adeptes du vaudou, redoutent particulièrement de perdre les faveurs de la divinité protectrice du marché, appelée Dan, représentée sous la forme d'un serpent et censée attirer la clientèle. Le vaudou, enraciné dans les forces de la nature et le lien avec les ancêtres, est né dans l'ancien royaume du Dahomey, qui couvrait le Bénin et le Togo actuels.
"Nous ne pouvons pas laisser la divinité protectrice du marché et tout ce qui facilite les activités commerciales pour nous installer ailleurs",
prévient Nafissatou Abayomi.
Aïnadou Abôhangbé Kanaï, grande prêtresse de Dan, se veut rassurante ajoute:
Les vendeurs n'ont rien à craindre.
Il suffira de
pour déterminer sous la protection de quelle divinité placer les nouveaux marchés.
Un impact écologique attendu
"Sur les 20 marchés déjà construits, environ 30 000 places sont prêtes à être allouées aux marchands",
assure Eunice Loisel Kiniffo, directrice de l'Agence nationale de gestion des marchés (Anagem).
Pour certains experts, comme l'économiste Côme Gangbè, ce marché représente un potentiel économique significatif pour le pays. Néanmoins, il estime que cette transformation nécessitera un temps d'adaptation.
"Il faut que la mayonnaise ait le temps de prendre. Il y aura un moment de flottement… Ces femmes-là savent qu'elles doivent se préparer à ça",
prévoit-il.
Selon Didier Hubert Madafimè, expert en gestion des risques et catastrophes, la délocalisation du marché de Dantokpa pourrait aussi bénéficier à l'environnement.
"Si on arrive à déplacer le marché, cela va être bien pour la lagune",
explique-t-il, ajoutant que le marché contribue à la pollution de cet écosystème, posant
"un danger pour la ville de Cotonou"
et ses 1,2 million d'habitants.
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