Muselée et menacée, l'opposition peine à exister en Centrafrique

11:427/03/2024, jeudi
MAJ: 7/03/2024, jeudi
AFP
Simplice Sarandji (C), président de l'assemblée nationale et ancien premier ministre, s'exprime lors du dernier meeting de campagne avant le référendum constitutionnel, à Bangui, le 28 juillet 2023.
Crédit Photo : BARBARA DEBOUT / AFP (Archive)
Simplice Sarandji (C), président de l'assemblée nationale et ancien premier ministre, s'exprime lors du dernier meeting de campagne avant le référendum constitutionnel, à Bangui, le 28 juillet 2023.

En Centrafrique, un opposant de premier plan est en attente de jugement pour "diffamation" tandis qu'un député opposé au pouvoir pro-russe est accusé de "tentative de coup d'État". L'opposition se sent souvent menacée, réprimée et délaissée par les capitales occidentales.

Le président Faustin-Archange Touadéra, élu en 2016 à la faveur d'un répit dans une énième guerre civile, a fait adopter en juillet, par un référendum boycotté par l'opposition, une nouvelle Constitution l'autorisant à briguer un troisième mandat en 2025.


Et Bangui est déjà couverte d'affiches vantant ses réalisations ou promesses, mais aucune de l'opposition qui, en outre, avance divisée.


"Systématiquement arrachées..."
, déplore Nicolas Tiangaye, président du Bloc républicain pour la défense de la Constitution (BRDC), principale plateforme de l'opposition. Il prône le boycott en 2025.

Au contraire, Crépin Mboli-Goumba, président de PATRIE, l'un des piliers du BRDC, veut remobiliser pour la bataille électorale.

Mais son élan vient d'être brisé net. Arrêté manu militari dimanche, cet avocat a été remis en liberté provisoire mercredi dans l'attente d'un procès le 13 mars pour
"diffamation"
et
"outrage à magistrats".

Il y a quelque temps encore à Bangui, Flavie Zongo, une responsable de PATRIE, haranguait des partisans, qui dansaient et entonnaient des chants militants. Mais dans une cour nichée entre des maisons en briques de terre.


Pour recruter,
"tous les lieux sont propices, un travail de fourmi",
s'enthousiasmait-elle.
"Mais nous prenons des précautions",
tempérait son collègue Prince Mgbogo, sans détailler.

"Ennemis de l'État"


Un défenseur connu des droits humains est plus prolixe, mais anonymement par peur de représailles:
"les gens n'osent plus parler de peur d'être traités d''ennemis de l'État'",
qualificatif favori choisi par des groupes liés au pouvoir et ouvertement prorusses.

Comme Galaxie Panafricaine, le plus vindicatif, qui les livre fréquemment en pâture sur les réseaux sociaux avec photos, noms et adresses.


D'autres, parfois armés,
"patrouillent"
et les passent à tabac. Comme les Requins, qualifiés de
"milices"
par des ONG, plus discrets depuis que leur leader, Héritier Doneng, est devenu Ministre de la Jeunesse en janvier.

Menacés?
"les membres de l'opposition peuvent vaquer à leurs occupations librement",
rétorque Fidèle Gouandjika, ministre conseiller du président Touadéra, pour qui
"l'opposition se fait à l'Assemblée nationale, les députés étant libres de s'exprimer".

Mais elle compte moins d'une dizaine d'opposants sur 140 députés, face au tout-puissant Mouvement Cœurs Unis (MCU) du chef de l'État et ses partis satellites.

Certains payent cher cette
"liberté".
Comme le député Dominique Yandocka, emprisonné depuis près de trois mois malgré son immunité parlementaire, pour une
"tentative de coup d'État"
que l'accusation n'a toujours pas étayée publiquement. Aucune date de procès n'est fixée.

Yannick, pêcheur sur la rivière Oubangui, qui ne veut pas donner son nom s'émeut:


Quand on essaye de manifester, on nous caillasse (...) Quoiqu'on vote, Touadéra gagnera.

Même discours pour Gaston, qui jette des regards inquiets dans un bar:
"la sécurité s'est renforcée, on peut être écouté partout...".

Wagner


"Intimidations, surveillance, menaces de mort..."
, énumérait récemment Me Mboli-Goumba, qui incrimine aussi les Russes:
"j'ai été suivi par des véhicules des Wagner et ils surveillent des cadres de l'opposition, parfois avec des drones".

"Les Wagner ne s'attaquent pas aux politiques, seulement aux rebelles, aux terroristes et aux fauteurs de trouble",
rétorque Fidèle Gouandjika.

Rassemblements et manifestations de l'opposition sont quasi systématiquement frappés d'interdiction.

Et ceux qui veulent la braver en sont dissuadés: en décembre 2022, Blaise Kossimatchi, leader de Galaxie Panafricaine et cadre du MCU, avait menacé publiquement de faire
"broyer avec 50.000 battes de baseball les tibias"
de ceux qui s'y risquent.

Depuis 2020,
"les intimidations ont empiré et il y a une résignation, une démission de l'opposition",
observe le politologue Paul-Crescent Beninga, président de l'Institut centrafricain des sciences sociales.

Pour Thierry Vircoulon, spécialiste de l'Afrique centrale à l'Institut français des relations internationales (IFRI), rien de nouveau dans un pays à l'histoire jalonnée de rébellions et de coups d'État :
"entre pouvoirs autoritaires et groupes armés, l'opposition de partis n'a jamais vraiment pu se développer".

"On se sent abandonnés par la communauté internationale face à un régime autoritaire",
assénait fin décembre Crépin Mboli-Goumba.

La France, très influente et présente militairement depuis l'indépendance en 1960, a cédé, surtout à partir de 2020 quand d'imposants renforts de Wagner ont probablement sauvé le régime Touadéra en repoussant une rébellion alors aux portes de la capitale. Et remporté, en échange, l'exploitation de l'or, du diamant et du bois centrafricains.


Au diapason de l'ONU et des ONG, le président Emmanuel Macron fustigeait en mai 2021 un "
Touadéra otage (...) de mercenaires prédateurs russes".

Et les derniers soldats français sont partis en décembre 2022.


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