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Au Soudan en guerre, des prisonniers torturés dans les deux camps

12:1510/09/2023, Pazar
AFP
Crédit Photo: ASHRAF SHAZLY / AFP
Crédit Photo: ASHRAF SHAZLY / AFP

Othmane Hassan, chauffeur routier de 54 ans, imaginait déjà comment il allait dépenser l'argent de sa dernière course, de Khartoum à l'Etat d'al-Jazira, plus au sud. Mais en route, il est tombé sur un barrage des paramilitaires.

"Ils ont confisqué mon camion et m'ont emmené dans une maison à Kafouri",
dans la banlieue de Khartoum-Nord, raconte-t-il.

"Il y avait d'autres prisonniers et des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) nous ont fait asseoir et nous ont fouettés en nous accusant d'être des espions de l'armée"
en guerre contre les FSR depuis près de cinq mois, poursuit-il.

Les coups de fouet n'ont cessé que quand un homme, visiblement un commandant, l'a ordonné. Puis l'
"interrogatoire"
a commencé.

D'abord, trois jours dans cette maison. Puis deux semaines à la centrale électrique de Khartoum-Nord. A chaque fois, sous les coups, tenaillé par la faim, la soif et assis à même le sol.


Ces lieux de détention, créés pendant la guerre qui a fait des milliers de morts et des millions de déplacés, le Comité des avocats en recense des dizaines à Khartoum: 44 des FSR et huit de l'armée, indique-t-il dans un rapport.


Ce groupe, l'un des piliers de la lutte pour la démocratie et les droits humains au Soudan, a recueilli pendant deux mois les témoignages de 64 personnes. 


"Crimes de guerre"


Pour ces avocats, les deux camps ont commis
"des crimes de guerre"
et des
"crimes contre l'humanité"
:
"morts, enlèvements, arrestations illégales, détentions illégitimes, disparitions forcées, tortures et viols d'hommes et de femmes".

Armée et FSR, eux, démentent tout mauvais traitement.


Après plus de deux semaines, Othmane Hassan a été relâché.
"Je suis sorti mais je n'ai jamais revu mon camion",
dit-il, sans pouvoir expliquer vraiment sa libération.

Mohammed Salaheddine, lui, sait pourquoi il a été libéré: sa famille a payé 1.700 dollars aux FSR.


Arrêté à Khartoum à un barrage des FSR sans papier d'identité, cet employé du privé âgé de 35 ans, sorti pour acheter des médicaments pour sa mère malade, a été
"menacé de mort",
accusé d'être
"un espion"
et
"un terroriste"
de l'ancienne dictature d'Omar el-Béchir, que les FSR accusent de se cacher derrière l'armée.

"Je suis resté assis jusqu'au soir et ils m'ont transporté à la Cité des sports",
dans le sud de Khartoum, où il est resté un mois avec d'autres civils à subir les coups et les accusations, raconte-il.

Les témoins interrogés par le Comité des avocats rapportent que, dans les centres de détention des FSR comme de l'armée, les prisonniers n'ont pas accès aux toilettes ou à l'eau dans une humidité étouffante. 


Dans les geôles des deux camps, d'anciens prisonniers ont rapporté au Comité des
"menaces de viol",
des
"viols à plusieurs reprises"
et
"un détenu exécuté parce qu'il résistait".

Le tout, sous les bombardements et dans le fracas des combats.


Yeux bandés


"J'ai reçu une balle perdue dans la jambe",
affirme Mohammed Salaheddine, qui attend désormais d'être opéré à Wad Madani, ville épargnée par les violences à 200 km au sud de Khartoum, où sa famille a trouvé refuge comme de très nombreux habitants de la capitale.

La famille de Majdi Hussein, elle, est partie vers le nord du pays pour fuir la guerre. Ce Soudanais de 25 ans s'était porté volontaire pour garder la maison familiale à Khartoum, les FSR investissant des habitations désertées.


"Le 15 juillet, on a frappé à la porte, j'ai ouvert et trouvé six paramilitaires juchés sur un pick-up avec une batterie anti-aérienne"
, raconte-t-il.

Ils l'ont passé à tabac, embarqué sur leur véhicule les yeux bandés et l'ont emmené dans une cave surpeuplée et plongée dans les ténèbres.


Lundi, l'armée déclarait avoir
"contacté le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour remettre 30 membres mineurs" des FSR "capturés depuis le début de la guerre", ajoutant qu'un "autre groupe de 200 rebelles non-mineurs"
suivrait.

Le CICR annonce aussi régulièrement avoir procédé à des échanges de combattants faits prisonniers.


Selon le Comité des avocats, civils et combattants --mineurs et femmes inclus-- sont détenus. Tous subissent "
des interrogatoires sous la torture et les mauvais traitements comme être accrochés par les pieds, subir des électrocutions et des brûlures de cigarettes".

Certains prisonniers doivent aussi
"creuser des fosses communes ou de réaliser des travaux forcés".

Les médecins volontaires du dispensaire de campagne de la banlieue est de Khartoum, eux,
"n'ont ni bu ni mangé, ni même été interrogés"
depuis qu'ils ont été enlevés à un barrage des FSR samedi, rapporte le dispensaire.

"On leur a pris tout ce qu'ils avaient sur eux et plusieurs ont perdu connaissance à cause de leur séquestration",
poursuit un communiqué.

Majdi Hussein a fini par voir le bout du tunnel. Au bout de dix jours,
"ils m'ont amené sur l'avenue 60 (à Khartoum) et m'ont dit de déguerpir".
Sans aucune forme de procès. Et sans autre explication. 

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