Crédit photo: Yasuyoshi CHIBA / AFP
Sans internet ni téléphone, et sous les feux croisés de l'armée soudanaise et des paramilitaires en guerre, il ne reste qu'un seul moyen de se donner des nouvelles au Darfour: les lettres manuscrites acheminées par les chauffeurs de taxis collectifs.
Ahmed Issa est parti depuis plusieurs jours de Nyala, le chef-lieu du Darfour-Sud où il a toujours vécu, laissant derrière lui des proches et de nombreux amis. Aujourd'hui à l'abri à El Daein, à près de 150 kilomètres à l'est de Nyala, il écrit des missives dans un petit café en plein air.
"Déjà au début des combats, on avait du mal à contacter les gens des autres quartiers à l'intérieur même de Nyala"
, raconte-t-il à l'AFP, ce Soudanais de 25 ans, une chemise aux motifs colorés sur le dos et un dégradé afro soigneusement taillé.
Aujourd'hui, les nouvelles sont encore plus incertaines au Darfour, une région de l'ouest du Soudan grande comme la France où vivent un quart des 48 millions de Soudanais dans des villes ravagées il y a 20 ans déjà par une très sanglante guerre civile.
Une semaine d'acheminement
"Parfois une lettre met une semaine à arriver à son destinataire et, même s'il la reçoit, rien ne garantit qu'il pourra lui aussi renvoyer une lettre en retour"
, poursuit le jeune homme, en pliant et repliant une lettre qu'il vient d'écrire sur une feuille lignée de bloc-notes.
Car les routes vers et depuis Nyala sont semées d'embûches.
Après El-Geneina, chef-lieu du Darfour-Ouest, devenue en juin la ville martyre emblématique du retour des violences ethniques au Darfour, Nyala est désormais au cœur des affrontements entre l'armée et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).
En 10 jours en août, plus de 50.000 habitants ont fui Nyala, la deuxième ville la plus peuplée du Soudan après Khartoum, rapporte l'ONU. Des dizaines de civils ont été tués. Les réseaux d'eau et d'électricité ne fonctionnent plus, une catastrophe dans une ville où déjà avant la guerre un habitant sur quatre dépendait de l'aide humanitaire, ajoute l'ONU.
Dimanche, le conflit a franchi un nouveau palier à Nyala: pour la première fois depuis le début de la guerre en avril, l'armée de l'air a rejoint les combats. Ses avions ont frappé plusieurs quartiers résidentiels tenus par les FSR, rapportent à l'AFP des habitants.
"Un seul rêve : avoir des nouvelles"
Ces informations parviennent au compte-gouttes et souvent avec beaucoup de retard, raconte sur X (anciennement Twitter) le militant des droits humains Ahmed Gouja, lui-même sorti de Nyala mais qui tente d'alerter le monde sur les tueries qui s'y déroulent.
Il y a une semaine, il y rapportait la mort de
dans les violences.
"J'ai passé 16 jours sans aucune nouvelle de mes proches vivant à Nyala"
, écrit-il, avant de recevoir un message
"d'un de mes frères qui a retrouvé internet à El Daein".
Il poursuit:
On meurt à chaque instant passé sans nouvelle de nos familles: on ne rêve que d'une chose, savoir comment vont nos proches et nos amis.
Depuis des semaines, Souleimane Moufaddal voit défiler dans son petit bureau aux murs jaunes décrépis des familles anxieuses de savoir comment vont ceux restés à Nyala.
"Avec la coupure des télécommunications, les gens se sont remis à écrire des lettres pour prendre des nouvelles de leurs proches"
, raconte-t-il à l'AFP en triant les enveloppes sur lesquelles sont soigneusement notées les adresses des destinataires, avant de les envoyer dans une voiture à Nyala.
Les chauffeurs qui travaillent avec lui reviennent régulièrement de Nyala et
"souvent, ils distribuent des lettres"
. Il ajoute:
En général, le destinataire écrit lui-même aussitôt une réponse qu'il remet au chauffeur.
À charge à lui de réussir ensuite à reprendre la route. Une gageure sous les bombes et alors que la saison des pluies met régulièrement des voies hors d'usage.
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