Malgré la demande formulée par la Türkiye depuis 2021 pour acquérir un modèle moderne des chasseurs F-16 américains, les pourparlers se poursuivent encore actuellement, au milieu des tentatives des membres du Congrès d'imposer des conditions à l'accord.
Les membres du Congrès s’emploient à lier l'accord à l'approbation par la Türkiye de l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN, ce que rejette Ankara, qui conditionne son approbation par la tenue des deux pays scandinaves de leurs promesses portant éradication des éléments terroristes ciblant la Türkiye depuis leurs territoires.
Au milieu de ces tiraillements, trois questions se posent concernant les raisons de l'empressement de la Türkiye à conclure l'accord sur les chasseurs et les obstacles auxquels elle est confrontée ainsi que l'impact du refus de Washington de conclure l’accord sur les relations entre les deux pays. Rıfat Öncel, chercheur en affaires militaires au Centre turc de recherche et d'études "SETA", répond à ces questions et apporte un éclairage.
Actuellement, la Türkiye est le premier pays à posséder le plus grand nombre d'avions F-16 après les Etats-Unis et Israël, devenant ainsi l'un des utilisateurs les plus actifs de ce type d'avions de combat. Ankara utilise abondamment cet avion, en raison de problèmes de sécurité, notamment, dans le domaine de la lutte antiterroriste, ce qui signifie que ses forces armées ont acquis une expertise opérationnelle importante pour cet avion de chasse, devenu l’option la plus logique pour le commandement des forces aériennes.
D'un autre côté, la Türkiye ambitionne d’acquérir un nouveau groupe d'avions F-16 afin de moderniser et de reconstituer sa réserve de guerre, d'autant plus que la majeure partie de sa flotte de chasseurs est entrée en service entre les années 1987 et 1995.
Cela signifie que le développement et la modernisation des forces aériennes turques sont devenus une nécessité pour le ministère de la Défense, qui s’emploie à importer le dernier modèle de chasseur qui dispose des caractéristiques de l'avion de cinquième génération (capacités techniques et de combat supérieures).
De plus, les industries de défense turques ont une longue histoire avec l’avion de combat F-16. En effet, au cours des dernières années, des entreprises turques ont mis en œuvre des programmes de modernisation structurelle et électronique de ces appareils.
Ainsi, la durée de vie des avions F-16 en Türkiye a été prolongée et ces appareils ont été équipés par des installations plus modernes, en plus du fait que 160 des avions qu'Ankara avait achetés entre 1987 et 1995 ont été fabriqués sur le territoire turc.
De même, les 46 avions de combat F-16 qui ont été exportés vers l'Egypte entre 1993 et 1995 ont également été fabriqués en Türkiye, parallèlement à la modernisation par Ankara des F-16 pakistanais et jordaniens au cours des deux dernières décennies.
Pour ces raisons et d'autres, la Türkiye cherche à acquérir 79 kits de modernisation des avions F-16, en plus des nouveaux avions les plus modernes du même modèle, afin de moderniser sa flotte de chasseurs américains.
En octobre 2021, Ankara a soumis une requête à Washington pour l’achat de 40 chasseurs F-16 de type Block 70 et de 79 kits de modernisation, mais la notification informelle au Congrès concernant ce processus n'a eu lieu qu’il y a de cela quelques semaines.
En dépit des objections formulées par le Congrès et les demandes de conditionner le processus de vente, la guerre lancée par la Russie en Ukraine a incité le président américain Joe Biden à approuver l'accord. Dans une lettre qu'ils ont adressée à Biden, 29 sénateurs ont déclaré qu'ils n'accepteraient pas la vente des avions de combat et les équipements de modernisation à la Türkiye tant que cette dernière n'aurait pas accepté les demandes d'adhésion à l'OTAN de la Suède et de la Finlande.
Après que l'administration américaine a soumis sa notification informelle au Congrès, le processus de négociations entre l'Administration américaine et le Congrès est entré en vigueur, dans un processus qui prendra entre 20 et 40 jours.
Cependant, force est de constater que les multiples objections formulées par le Congrès maintiennent l'ensemble du processus dans un état d'incertitude, ce qui signifie que l'Administration américaine pourrait s'abstenir de soumettre la notification officielle au Congrès, et suspendre le processus de vente.
De plus, il ressort des récentes déclarations faites par le président turc Recep Tayyip Erdogan (début février) que la Türkiye n'acceptera pas, surtout à court terme, l'adhésion de la Suède à l'OTAN de même qu’elle rejettera de lier cela au processus de vente des F-16.
Bien que la Türkiye ait officiellement exprimé son opinion, par la voie du président Erdogan, mais comme c'est le cas pour toute vente d'armes majeure, ce type de dossiers fait l’objet de tiraillements et de tensions politiques.
En résumé, l'échec de la vente n'est pas en faveur de la Türkiye, mais il ne sert pas non plus les intérêts américains dès lors que le chasseur F-16 est le seul indicateur du partenariat turco-américain en matière de sécurité et de défense.
De même, les ventes d'armes en général et des F16 en particulier se reflètent dans la stabilité historique et l'influence diplomatique de Washington dans les conflits qui opposent Ankara à Athènes, d'autant plus que les mêmes types de chasseurs constituent le pilier de l'armée de l'air grecque.
Ainsi, l'échec du processus de vente constituera une véritable régression des relations turco-américaines, et un déclin de l'influence diplomatique des Etats-Unis dans la partie turque de la mer Égée et en Méditerranée orientale.
Ajoutons à cela que le Congrès a annoncé l'approbation de la vente de la cinquième génération d'avions de combat "F-35" à Athènes, ce qui signifie que les Etats-Unis accorderont à la Grèce, et ce pour la première fois de l'histoire, la supériorité technologique militaire.