Parler à l'extrême droite: un dilemme pour les ONG écologistes

10:2613/12/2024, vendredi
AFP
Le président du Rassemblement national (RN) et député européen Jordan Bardella prononce un discours lors d'une réunion à Tonneins, dans le sud-ouest de la France, le 10 novembre 2024.
Crédit Photo : Thibaud MORITZ / AFP
Le président du Rassemblement national (RN) et député européen Jordan Bardella prononce un discours lors d'une réunion à Tonneins, dans le sud-ouest de la France, le 10 novembre 2024.

Les ONG écologistes à Bruxelles hésitent à dialoguer avec l'extrême droite, face à ses positions climatosceptiques et son influence croissante.

La présence renforcée de l'extrême droite à la Commission et au Parlement européens embarrasse les ONG de défense de l'environnement. Ces organisations sont partagées entre leur volonté de peser à Bruxelles et leur combat contre toute forme de climatoscepticisme.


Parler ou non avec l'extrême droite ? La question divise les militants écologistes face à la nouvelle configuration bruxelloise.


À la Commission, l'Italien Raffaele Fitto, membre du parti d'extrême droite Fratelli d'Italia, a obtenu une vice-présidence sur la cohésion des territoires. Il supervise également les trois commissaires européens chargés de l'agriculture, de la pêche et des transports.


Avant sa confirmation, des ONG avaient écrit, en vain, à la présidente Ursula von der Leyen pour lui demander de ne pas lui confier de tels dossiers. Désormais, elles doivent composer avec un interlocuteur difficilement contournable.

Il travaillera sur des
"sujets cruciaux pour la transition verte"
, souligne Tycho Vandermaesen, du WWF, l'une des plus grandes organisations environnementales. Sa nomination a été
"approuvée par la majorité des députés européens. (...) Nous ne pensons pas qu'il soit approprié de mettre son veto"
, estime ce responsable.

L'ONG entend donc dialoguer avec Raffaele Fitto comme avec n'importe quel autre commissaire et
"évaluera"
son action en faveur de la transition écologique.

Chez Bloom, qui œuvre pour la protection des océans, on a choisi une position inverse
. "On ne parle pas à l'extrême droite, on la combat"
, affirme Claire Nouvian, fondatrice de l'association.
"On laisse tous ceux qui s'embourbent dans la légitimation de l'extrême droite face à leur conscience".

En pratique, cette ONG ne s'adresse pas à Raffaele Fitto mais aux autres commissaires. Elle applique la même règle au Parlement européen, où elle travaille avec les eurodéputés de "l'arc démocrate", mais évite les 187 parlementaires des trois groupes d'extrême droite. Ces derniers s'opposent régulièrement aux normes environnementales.


"Ces élus refusent de reconnaître le changement climatique et remettent constamment en cause le consensus scientifique"
, accuse Swann Bommier, un responsable de Bloom.

"Entre gens déjà convaincus"


Depuis les élections européennes de juin, marquées par une poussée de l'extrême droite, les ONG redoutent un détricotage du Pacte vert, adopté lors de la précédente législature.


Elles espèrent cependant peser dans les négociations à venir, notamment pour atteindre l'objectif affiché par la Commission européenne de réduire de 90 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2040, par rapport à 1990.


Chez Surfrider, engagée dans la préservation des océans, on adopte une prudence vis-à-vis de l'extrême droite.


Pour un événement de sensibilisation organisé en octobre au Parlement européen, l'association avait invité des eurodéputés de tous bords, y compris ceux d'un groupe d'extrême droite, ECR, considéré comme moins radical.


Membre d'ECR et de Fratelli d'Italia, l'eurodéputé Michele Picaro avait répondu présent et relayé l'événement sur les réseaux sociaux, provoquant des tensions parmi certains militants écologistes.


Cette controverse rappelle une polémique en France, au printemps 2023, lorsque le journaliste et militant écologiste Hugo Clément avait débattu avec le chef du Rassemblement national Jordan Bardella. Certains militants l'avaient accusé de servir de caution verte au RN ou de
"parler avec l'extrême droite, chez l'extrême droite".

Hugo Clément avait rejeté ces critiques, dénonçant une
"vision de la politique affligeante"
et appelant à élargir le dialogue.
"Qu'on le veuille ou non, Marine Le Pen a recueilli 41 % des suffrages exprimés lors de la dernière présidentielle. Cela représente 13 millions de citoyens. Ne pas leur parler n'est pas une option envisageable"
, avait-il affirmé.

Il a récemment maintenu cette ligne en appelant à la libération de Paul Watson, figure emblématique de la lutte contre la chasse à la baleine, détenu provisoirement au Groenland.


Sur les réseaux sociaux, Hugo Clément a même félicité les élus ayant soutenu Paul Watson, y compris David Rachline, maire RN de Fréjus.


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