Opération Wuambushu: L’exécutif français en difficulté à Mayotte

16:4526/04/2023, Wednesday
MAJ: 26/04/2023, Wednesday
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Des gendarmes français patrouillent dans une rue après que des affrontements ont éclaté à Majicavo, une commune faisant partie de la ville de Koungou à Mayotte, le 25 avril 2023. Crédit photo: CHAFION MADI / AFP
Des gendarmes français patrouillent dans une rue après que des affrontements ont éclaté à Majicavo, une commune faisant partie de la ville de Koungou à Mayotte, le 25 avril 2023. Crédit photo: CHAFION MADI / AFP

La France s’est lancée lundi dans une opération très controversée qui mobilise à Mayotte 1 800 policiers et gendarmes avec un objectif clair : lutter contre l’immigration illégale.

Amalgamant l’épineuse question migratoire à celle de l’insécurité, l’Exécutif est aujourd’hui très critiqué dans sa démarche et pour la manière dont il gère cette crise. Mais l’opération Wuambushu, au-delà de son objet, rencontre de grandes difficultés tant sur le champs juridique que face à la population.


Des accusations de racisme


Si l’opération a bien débuté lundi et devrait durer, selon le gouvernement, plus de deux mois, les critiques se font très vives du côté de l’opposition qui pointe une politique
"xénophobe et anti-migratoire"
.

Dans un communiqué de presse publié mardi, le député LFI (La France Insoumise), Carlos Martens Bilongo, vice-président du Groupe d’amitié entre la France et les Comores, s’inquiète vivement de la situation à Mayotte.


Déplorant des
"oppressions contre les migrants de Mayotte"
, l’élu qualifie la démarche des autorités de
"proprement hallucinante"
en soulignant que
"les logements de fortune sont détruits, des milliers d'enfants sont enfermés dans des centres et dans des locaux de rétention administrative"
.

"En rentrant de l'école, de nombreux enfants ont vu leurs logements détruits par les forces de l'ordre embarquant ainsi leurs parents"
, relate Carlos Martens Bilongo pour qui le
"caractère tyrannique, brutal et colonial de l'opération"
ne fait aucun doute.

Il s’interroge notamment sur les accusations qui sont portées à l’endroit des habitants de Mayotte en situation irrégulière et sur les amalgames qui sont faits autour de leur présence.

"Cette opération a pour objectif principal de lutter contre la criminalité de l'île. Cependant, à quel moment des familles fuyant la misère et la détresse peuvent-elles occasionner ce genre d'atrocités ?"
, questionne le député insoumis dans son communiqué.

Et son sentiment n’est pas isolé puisque cette analyse est partagée par de nombreuses associations dont la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) qui se dit
"extrêmement inquiète"
.

Le collectif UCIJ (Unis contre l’immigration jetable), dont la LDH est membre,
"exige l’abandon"
de l’opération Wuambushu et considère que
"la France place ainsi des mineurs dans des situations de vulnérabilité et de danger intolérables"
.

Une manifestation est organisée à Paris pour
"une politique de migration respectueuse des droits"
le 29 avril, sur la place de la République à Paris.

La justice administrative s’y met aussi


Alors que Thierry Suquet, préfet de Mayotte, assurait lundi en conférence de presse que la France
"n’arrêtera pas"
l’opération Wuambushu, la justice administrative, qui a été saisie en référé par des habitants, lui a infligé un premier camouflet.

Le tribunal a en effet ordonné
"au préfet de Mayotte de cesser toute opération d'évacuation et de démolition des habitats"
du bidonville "Talus 2" situé sur la commune de Koungou en considérant que
"la destruction des habitations
(...)
est manifestement irrégulière"
et met
"en péril la sécurité"
des habitants, comme le rapportait France Info mardi matin.

Ce bidonville abrite aujourd’hui environ 85 familles dans des conditions précaires, mais qui restent néanmoins sous la menace d’une expulsion par les forces de l’ordre puisque le préfet de Mayotte a décidé de faire appel de la décision de justice intervenue lundi soir.

"L’action menée à Mayotte est la restauration de la paix républicaine. C’est une action difficile mais extrêmement résolue. Ce qui met en danger la population c’est l’insalubrité, l’insécurité et la non reconnaissance du droit de propriété. Le préfet fait appel de cette décision"
, a déclaré mardi le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin dans une publication sur les réseaux sociaux.

Une mission contestée pour un maigre bilan


Sur le terrain, Thierry Suquet a fait savoir au cours de sa prise de parole, que
"les opérations
(...) d
e lutte contre la délinquance et de lutte contre l'habitat insalubre, avec leurs conséquences sur l'immigration clandestine"
ne seront pas arrêtées, et ce en dépit du refus des Comores, d’accueillir les bateaux effectuant les transferts de migrants en situation irrégulière.

Pour autant, sa posture est largement mise à mal par le refus des autorités comoriennes d’autoriser l’accostage de ces navires depuis lundi.


Le préfet assurait à cet effet que
"les relations avec les Comores vont revenir à la normale",
faisait état d’un
"intérêt commun avec les Comores, celui de sauvegarder la vie des gens qui tentent les traversées"
.

À Mayotte, les milliers de policiers et gendarmes mobilisés poursuivent leurs opérations mais sont donc confrontés à l’impossibilité de procéder à des expulsions vers les Comores.


Selon le média Comoresinfos.net, au moins 8 membres des CRS (compagnies républicaines de sécurité), ont été blessés dans des affrontements avec la population sur place.


Mayotte, une exception française


Mayotte, qui est le 101ème département français, en est surtout le plus pauvre. Peuplée de plus de 270 000 habitants, l’île bénéficie d’un statut particulier.


En 2022, les autorités ont procédé à la reconduite aux frontières de 25 000 personnes qui se trouvaient sur le territoire sans titre légal.

Mais face à la situation géographique de Mayotte, le ministère de l’Intérieur, confronté à une pression migratoire importante, a opté pour la solution du statut d’exception.


Depuis 2018, la loi asile et immigration est venue durcir les conditions d’obtention de la nationalité française en imposant aux habitants de l’île de prouver que l’un de leurs parents au moins était en situation régulière sur le territoire depuis au moins 3 mois au moment de leur naissance, pour obtenir la naturalisation à l’âge de 18 ans.


Depuis 2022, Gérald Darmanin a déjà annoncé, à plusieurs reprises, vouloir étendre ce délai à 1 an pour espérer obtenir la nationalité française.


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