Migration clandestine: Le désert tchadien, un cimetière à ciel ouvert

17:1616/01/2023, Pazartesi
MAJ: 16/01/2023, Pazartesi
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Désert du Tchad. Crédit photo: AA
Désert du Tchad. Crédit photo: AA

En plein cœur du Sahara, au nord du Tchad, les provinces du Borkou, du Tibesti et de l’Ennedi Ouest sont des zones désertiques sujettes aux tempêtes de sable et aux glissements de terrains.

Au Tchad, l'espace proprement désertique occupe 50% du territoire, et jusqu'à 80% si on comprend sous ce sens la
« savane sahélienne »
(une écorégion terrestre définie par le Fonds mondial pour la nature (WWF), qui appartient au biome des prairies, savanes et brousses tropicales et subtropicales de l'écozone afrotropicale), soit 1,9 millions de kilomètres carrés où les vents violents soufflant jusqu'à 100 km/h.

Le nord désertique du Tchad est devenu ces dernières années un haut-lieu de la contrebande de marchandises et de l'immigration clandestine. Des milliers de migrants traversent chaque année les frontières poreuses du Tchad, le Niger, le Soudan pour la Libye, la Tunisie, le Maroc ou l’Algérie pour venir travailler dans ces pays ou pour tenter la traversée de la Méditerranée vers l'Europe. Les cas de migrants disparus ou retrouvés morts en plein désert du Tchad y sont fréquents.

Selon Choua Mahamat, secrétaire général du gouvernement (SGG) du Tchad, « c’est depuis l'intensification de l'exploitation aurifère dans le nord du Tchad en 2012 que la zone frontalière entre le Tchad et la Libye a connu une augmentation des incidents liés à des migrants abandonnés par des trafiquants et des passeurs, ou à des transporteurs qui se perdent ».

Le 13 décembre 2022, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a annoncé la mort de 27 migrants tchadiens dont quatre enfants, dans le désert tchadien. Ils avaient quitté Moussoro au nord du Tchad pour rejoindre la Libye il y a 17 mois. Leurs corps avaient été retrouvés près du véhicule qui les avait transporté plus d’un an après.
« On pense que la camionnette s'est perdue dans le vaste désert, qu'elle est tombée en panne en raison de problèmes mécaniques et que les migrants sont morts de soif par la suite »,
a déclaré le 15 décembre dernier l'OIM dans un communiqué.Le 28 juin 2022, l’Organisation internationale pour les migrations a aussi déploré le décès d'au moins 20 migrants à la frontière entre le Tchad et la Libye.

Selon un communiqué des services d'ambulance et d'urgence libyens, le groupe serait mort de déshydratation « après une panne de leur véhicule sous une chaleur aride ». Parmi les victimes se trouvaient 18 Tchadiens et deux Libyens selon l’OIM.

« Le véhicule, en provenance du Tchad, a été retrouvé à 310 km au sud de Koufra et à 120 km de la frontière tchado-libyenne »
, selon un communiqué de l’OIM.
D’après Anne Kathrin Schaefer, chef de mission de l'OIM au Tchad,
« ces tragédies doivent être un appel à l'action pour fournir des normes minimales de protection aux migrants, permettre les opérations de recherche et de sauvetage, renforcer la gestion humanitaire des frontières et fournir l'assistance requise de toute urgence dans cette zone extrêmement reculée »
et dangereuse.Chaque année, des centaines de migrants disparaissent sur le chemin de l'Europe ou sur le continent même en prenant le départ au nord du Tchad ou du Niger pour le désert du Sahara qui selon la porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Lucile Marbeau, est
« un vaste cimetière d’inconnus ».

Le désert et ses ... surprises


Dans le désert du Sahara ou bien dans une autre zone désertique, on peut très facilement se perdre car le désert cache bien des surprises.
« Un coup de vent ou de pluie peut changer tout le paysage du désert. Il peut effacer les traces que l'on suivait. Le vent souffle à une très grande vitesse qui détruit de nombreuses pistes qui avaient été retracées »,
a déclaré à Anadolu le guide touristique au nord du Tchad, Thierry Faché.
« Lorsque les personnes n’ont pas accès aux routes de migration légales et qu’il existe peu de registres fiables, les futurs migrants sont exposés à la vulnérabilité des trafiquants d’êtres humains et des passeurs escrocs »
, a déclaré à Anadolu, Frank Laczko, l’ex-directeur du Centre d’analyse des données de l’OIM à Berlin.Les principales causes de décès et des disparitions dans le désert du Tchad et au Sahara en général recensées par l’OIM indiquent que de nombreux cas pourraient être évités. La famine, la déshydratation, la violence physique, la maladie, la panne du véhicule et le manque d’accès aux médicaments sont des causes de décès fréquemment citées par les migrants sur des routes migratoires au nord du Tchad.
« Quand la voiture est prête pour quitter, tu n’as le droit qu’à 12 kg en coffre et 5 kg en bagage à main.
C’est souvent compliqué, avec ton sac à dos, ton sac de couchage, les matelas, la tente et ton bidon d’eau, t’es déjà à 10 kg. Au fur à mesure que la voiture progresse dans le voyage, on consomme nos provisions et malheur à nous si la voiture tombe en panne. Ici, c’est chacun qui gère ses provisions »
, explique à Anadolu Issa Alamine, un ancien migrant tchadien rapatrié de la Libye.
« Lors de mon dernier voyage pour la Libye, nous avons débarqué du Tchad à 22 sur le pick-up. Certains de nos camarades sont morts en cours de route. Nous avons perdu l’itinéraire et notre voiture est tombée en panne. Seules 16 personnes ont pu être secourues par une autre voiture en provenance du nord du Tchad pour la Libye »
, ajoute Alamine.D’après lui, ils étaient en route vers la Libye et ils ont été
« bloqués »
pour une durée de
« trois jours dans le désert »
entre le Tchad et la Libye à cause
« d'une panne mécanique »
de leur voiture avant d'être
« abandonnés par leurs passeurs »
tchadiens et libyens.Les conducteurs ou les passeurs des migrants au desert du Tchad estiment qu’ils accomplissent
« des missions compliquées pour une destination inconnue »
à travers le desert.
« Nous connaissons généralement le jour de notre départ avec les migrants mais nous ne pouvons pas vraiment connaître le jour de notre arrivée. En route, nous rencontrons des mauvaises personnes telles que des coupeurs de route qui nous dépouillent de tous nos biens. Nos véhicules tombent parfois en panne et peuvent être irréparables. Dans ce cas, personne n’est à l’abri. Une fois en pleine désert, j’ai bu mes propres urines pour survivre. J’ai dû abandonner le business car c’est trop risqué »,
se confie à Anadolu Aba Kabir, ancien passeur.

Retracer le parcours des personnes disparues


Les Tchadiens estiment que le gouvernement a les moyens pour retracer le parcours des personnes disparues dans le désert entre le Tchad et la Libye.
« Dans le désert, l'Arabie Saoudite place des lampes laser dans des puits alimentés par l'énergie solaire près des ressources en eau pour guider les disparus dans le désert. Il nous faut aussi ça dans le désert Tchadien. Chaque année, beaucoup de voyageurs migrants pour la Libye se perdent et meurent de soif dans le désert. L’armée peut faire usage de ses drones pour retrouver les personnes portées disparues dans le désert »
, nous explique Mahamat Kally, lanceur d’alerte tchadien.
Selon le projet Migrants disparus de l'OIM, plus de 2 000 décès de migrants ont été documentés depuis 2014 dans le seul désert du Sahara à partir du Tchad et du Niger, mais les experts estiment que les chiffres sont plus élevés.
L’OIM Tchad a estimé que plus de 45 000 migrants tchadiens ont été enregistrés aux points de contrôle des flux de Faya, Zouarké et Ounianga Kébir dans le nord du Tchad entre janvier et mars 2022. Parmi les migrants recensés par l'OIM durant cette période, 32% se dirigeaient vers la Libye malgré l'absence de conditions préalables de base pour assurer leur sécurité et leur protection.

Dans un rapport publié en 2022, Oxfam International, un mouvement mondial de personnes qui luttent ensemble contre les inégalités et l'injustice, a estimé qu’entre 80 000 et 150 000 personnes ont traversé la zone désertique hostile et aride au nord du Tchad et nord-est du Niger pour atteindre l’Europe depuis 2000.


« La plupart d’entre eux sont de jeunes hommes, parfois très jeunes, originaires du Cameroun, du Sénégal, de la Gambie ou de la Guinée. Ils transitent en majorité par Agadez, la dernière ville au nord du Niger ou par le nord du Tchad, avant d’entamer leur périple à travers le désert pour atteindre la côte libyenne »
, souligne l'organisation.

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