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Aux Philippines, 13 ans après l'assassinat d'un militant, la justice se fait attendre

11:5014/05/2024, mardi
AFP
Des photos de Gerry Ortega, militant écologiste et animateur radio philippin assassiné, dans la maison de sa famille à Puerto Princesa, dans l'île de Palawan.
Crédit Photo : JAM STA ROSA / AFP
Des photos de Gerry Ortega, militant écologiste et animateur radio philippin assassiné, dans la maison de sa famille à Puerto Princesa, dans l'île de Palawan.

Quand le journaliste et militant environnemental Gerry Ortega a été tué par balle en plein jour aux Philippines, sa famille et ses amis pensaient qu'il y avait assez de preuves pour condamner le commanditaire de son assassinat. Mais 13 ans plus tard, Joel Reyes, ex-gouverneur de la province de Palawan (ouest), accusé d'avoir ordonné l'élimination du journaliste, est en fuite, et son frère, lui aussi impliqué, occupe les fonctions de maire.

Gerry Ortega, père de cinq enfants, a été abattu le 24 janvier 2011 d'une balle dans la nuque dans un magasin de vêtements d'occasion, le long d'une route très fréquentée de Puerto Princesa, capitale de la province de Palawan. Il venait de terminer son émission de radio matinale, au cours de laquelle il s'en prenait fréquemment aux hommes politiques. Il avait accusé M. Reyes de corruption et d'avoir autorisé le pillage des ressources naturelles de la région.


"Il avait beaucoup d'ennemis, mais Joel Reyes était son plus grand ennemi et c'est pour cela qu'il a été tué"
, affirme à l'AFP Redempto Anda, journaliste et ami de M. Ortega.

Joel Reyes a toujours nié son implication.

L'exécutant a été arrêté et l'arme qu'il avait utilisée a été identifiée comme appartenant à un collaborateur de l'ancien gouverneur. Un garde du corps, qui avait engagé l'équipe de tueurs à gages, devenu témoin sous protection de l'État, a mis en cause Joel Reyes.


Mais la famille du journaliste, ses amis et les défenseurs des droits réclament toujours justice et dénoncent la
"culture de l'impunité"
aux Philippines.
"Nous voulons juste un procès équitable et honnête"
, dit à l'AFP sa fille Michaella, âgée de 35 ans.
"Cela fait 13 ans. Les preuves sont là"
.

Localisation donnée par les ONG


Dans un premier temps, le parquet a disculpé les frères Reyes de toute implication dans la mort du journaliste, avant de revenir sur sa décision et de les inculper, en mars 2012. Les deux frères ont alors fui en Thaïlande où ils ont été arrêtés trois ans plus tard puis expulsés vers les Philippines.


Joel Reyes a été libéré en 2018 après l'abandon des poursuites à son encontre, avant d'être à nouveau inculpé environ deux ans plus tard. L'an dernier, la Cour suprême a rejeté son appel, ordonnant qu'il soit arrêté et que son procès reprenne.


L'homme vit dans la clandestinité et ses avocats cherchent maintenant à faire transférer le dossier à Manille, ce que la famille Ortega considère comme une nouvelle diversion. Des ONG comme le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) ou Reporters sans frontières (RSF) ont rencontré récemment les autorités philippines pour leur transmettre la localisation du principal accusé.

"Les informations que nous avons fournies au ministère de la Justice et à la police nationale apportent toutes les clés pour trouver et arrêter Joel T. Reyes"
a déclaré Cédric Alviani, directeur du bureau Asie de l'est de RSF.

Les autorités philippines n'ont pas répondu aux sollicitations de l'AFP.


"Quelqu'un a décidé qu'il devait mourir"


Dans une maison de Puerto Princesa, Patty, la veuve de Gerry Ortega, et deux de ses enfants, feuillettent des albums de photos pleins de souvenirs.
"La mort d'un membre de la famille est déjà très, très tragique, mais un assassinat signifie que quelqu'un a décidé qu'il devait mourir"
, observe Michaella.
"Quelqu'un l'a planifié, quelqu'un a été payé pour que cela se produise"
.

Patty dit se concentrer sur ce pour quoi son mari
"se battait, parce que j'y crois aussi"
. M. Ortega était un défenseur passionné de l'environnement de Palawan, qui abrite des plages et des récifs coralliens magnifiques et des forêts riches en biodiversité.

"Cela peut arriver à n'importe qui"


Après l'assassinat d'un autre journaliste de radio en novembre, le président philippin Ferdinand Marcos a affirmé que les attaques contre les journalistes ne seraient pas tolérées et le tireur présumé a été arrêté. Cependant, la famille Ortega et les défenseurs des droits humains dénoncent les centaines de meurtres de journalistes et de défenseurs de l'environnement ces deux dernières décennies et l'absence de justice pour eux.


Le journaliste Redempto Anda, qui a souvent collaboré avec Gerry Ortega, est convaincu que c'est une enquête sur le détournement présumé de millions de dollars des champs gaziers de Malampaya, au large de la province, qui a été la cause de son assassinat.
"Il était très, très critique, très loquace et n'avait pas peur"
, se remémore M. Anda, rédacteur en chef du média Palawan News.

Le journaliste est désormais plus prudent.
"Il ne s'agit pas de renoncer à notre indépendance en termes de couverture d'un sujet, mais de faire preuve de plus de circonspection"
. Michaella espère que son combat pour la justice aboutira pour que d'autres "voix courageuses" puissent parler en sécurité.

"Peut-être que cela enverra le message qu'on ne peut pas tuer des gens pour avoir parlé"
, dit-elle,
"que ce n'est pas parce qu'on est puissant qu'on va s'en tirer comme ça"
. Mais
"nous n'en sommes pas encore là"
.

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