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Politique africaine de Macron: entre incohérences, déni et paternalisme

Dans un discours très médiatisé cette semaine devant les ambassadeurs et ambassadrices français, le Président Emmanuel Macron, visiblement en posture de “gladiateur”, est revenu sur sa politique africaine. Un discours qui a fini de révéler beaucoup d’incohérences et surtout un déni ou une ignorance profonde de certaines réalités actuelles, dans la politique africaine du locataire de l’Elysée, dans un contexte où la France ne séduit plus sur le continent.

La rédaction
12:17 - 2/09/2023 Cumartesi
MAJ: 15:47 - 18/10/2023 Çarşamba
Yeni Şafak
Le Président nigérien déchu Mohamed Bazoum et le Président français Emmanuel Macron, lors du Sommet sur le Nouveau Pacte Financier Mondial, à Paris, le 23 juin 2023.
Crédit photo: LUDOVIC MARIN / AFP.
Le Président nigérien déchu Mohamed Bazoum et le Président français Emmanuel Macron, lors du Sommet sur le Nouveau Pacte Financier Mondial, à Paris, le 23 juin 2023. Crédit photo: LUDOVIC MARIN / AFP.
"Notre politique est simple: on ne reconnait pas les putschistes, nous soutenons un président qui n’a pas démissionné, et nous soutenons les politiques de la CEDEAO,"
a martelé Emmanuel Macron ce lundi, au sujet du Niger. Le président français a ainsi confirmé son soutien à Mohamed Bazoum, renversé par un putsch fin juillet. Depuis, la France, dans un jusqu’au-boutisme presque suspect derrière la CEDEAO, continue de croire à une éventuelle restauration de Bazoum dans ses fonctions, quitte à soutenir une intervention militaire de l’organisation sous-régionale. Mais cette position française sur les putschistes nigériens représente surtout une incohérence majeure par rapport aux réalités de la politique française, contrairement à ce que Macron a voulu insinuer.

Inconstance et incohérences “macroniennes”


Le Président Macron semble avoir oublié les conditions dans lesquelles les forces françaises ont été "chassées" du Mali, ainsi que la façon dont la France a été contrainte, par le régime (putschiste) d’Assimi Goita, de mettre fin à la force Barkhane (ainsi qu’à la force européenne de Takuba) conçue jadis pour contenir le terrorisme au Sahel. Bien avant ce divorce, la France avait pourtant aussi pris la décision de reprendre sa coopération militaire avec les “putschistes” maliens en juillet 2021, quelques semaines après l’avoir suspendue. Des discussions diplomatiques intenses à ce moment-là, sans qu’on ne sache sous quelles conditions ou garanties, avaient permis aux deux parties de signer la reprise des patrouilles conjointes avec les forces armées nationales du Mali (Fama).


En janvier 2022, l’ambassadeur de la France au Mali avait été expulsé par le régime militaire de Bamako. Une décision à laquelle Paris n’a pas fait entrave mais qui, aujourd’hui, refuse de retirer son ambassadeur au Niger, Sylvain Itté, sous prétexte qu’elle ne reconnaît pas le régime putschiste actuel qui demande son départ.

En mai 2022, le Mali a pris la décision de rompre les accords de défense avec la France, ce à quoi Paris n’a manifesté aucun refus d’acceptation, mis à part la dénonciation d’une
“décision injustifiée”
. Au Burkina Faso aussi, la France n’avait pas eu vraiment le souci de la légalité lors du coup d’Etat fait par Paul Sandaogo Henri Damiba. Paris avait bien
"reconnu"
son régime en continuant la coopération sécuritaire avec lui.

Toujours dans son discours de cette semaine, Emmanuel Macron a reconnu que la France s’est contentée d’avoir avec elle, les élites politiques dirigeantes des pays africains, laissant de côté les autres composantes de la société (société civile, opposants, grande masse, etc.) et qu’il fallait changer cette approche. Malheureusement, le Président français estime pourtant que
“la politique de la France au Niger est la bonne’’
et qu’elle
“repose sur le soutien au président déchu et l’engagement de notre ambassadeur’’
.

Macron explique aussi que la politique africaine de la France n’aura
‘’ni faiblesse, ni paternalisme’’
. Pourtant, il s’est donné la légitimité de dire ce qui était bon ou pas pour le peuple nigérien, affirmant que
“le problème des Nigériens aujourd’hui, c’est les putschistes”
, ignorant sans doute tous les élans et manifestations de soutien du peuple aux militaires.

Le politologue sénégalais Babacar Justin Ndiaye résume cette incohérence française plutôt bien:
“le Général Gaïd Salah en Algérie, le Colonel Doumbouya en Guinée, le Général Al Burhan au Soudan, le Général Al Sissi en Égypte etc. ont opéré des putschs sans provoquer de séisme au Quai d’Orsay. Et que dire de l’Ambassadeur de France qui travaille avec la Junte de Birmanie ? Une junte qui bombarde ses opposants avec des avions de chasse et décime des milliers de citoyens de la communauté musulmane des Rohingyas…”
Aujourd’hui, ce
“double standard”
français pourrait se confirmer au Gabon, où le putsch du Général Oligui Brice Nguema passe pour le moment comme une lettre à la poste à l’Elysée.

Le déni des nouvelles réalités géopolitiques africaines


Dans ses obstinations, Emmanuel Macron semble se résoudre à rester dans le déni ou l’ignorance des nouvelles réalités géopolitiques africaines. Aujourd’hui, la France ne séduit plus en Afrique et cela n’a rien à voir avec une quelconque influence d’autres puissances, que le président français taxe de
“néo-impérialistes”
et qui, pour lui,
“alimentent le sentiment anti-français”
en Afrique. Le problème majeur de la France est cette tendance à la “bouc-émissarisation”, tendant surtout à renier aux Africains leur capacité à faire des choix politiques en fonction de leurs expériences et de leurs intérêts, sans aucune influence étrangère. Cette posture paternaliste et arrogante de la France et d’Emmanuel Macron surtout, envenime ce sentiment “anti-français”, qui est plutôt un sentiment “pro-africain”, et qui découle de l’éveil simultané d’une conscience africaine, une nouvelle forme du panafricanisme que la France doit désormais prendre en compte au lieu de la minimiser.

Les peuples africains sont aujourd’hui beaucoup plus avertis de leur histoire et du rôle joué dans l’histoire même de la France. Quand Macron dit que
"si la France n’était pas intervenue, à leur demande, le Mali, le Burkina Faso et le Niger n’existeraient plus aujourd’hui"
, il oublie que l’existence actuelle de la République Française a dépendu aussi, à un certain moment de l’histoire, des peuples africains. A ces propos de Macron, Babacar Justin Ndiaye répond :
“voilà une thèse qui impressionne un Africain dépourvu de connaissances historiques. Ma réaction en guise de réponse est la suivante : sans le débarquement de Normandie en 1944, conçu et commandé par le Général Eseinhower, la France aurait eu un destin de régions allemandes comme la Saxe et la Rhénanie-Westphalie”
.

En plus de ces reniements et dénis, la France cache mal sa posture impérialiste en Afrique.
"Ni le paternalisme, ni la faiblesse, sinon on n’est plus nulle part"
, s’est fièrement exclamé Macron. Cette façon d’assumer une posture impérialiste, intéressée et forcée en Afrique, redonne presque le caractère d’une France "gladiateur" qu’on a ressenti tout au long du discours de Macron, une France férue de son “hard power” historique en Afrique, entre coups d’Etat militaires et déstabilisation politique pour ses intérêts.

Ce forcing que Paris semble vouloir adopter une nouvelle fois, symbolisé par le soutien d’un projet interventionniste de la CEDEAO au Niger, pourrait sonner définitivement le divorce entre les africains et l’ancien colonisateur. La nouvelle réalité géopolitique africaine ne saurait bien accueillir une telle posture de “hard power” ayant fait les plus mauvais jours des relations françafricaines et qui risque de braquer encore plus les peuples africains contre cette France qui fait tant mal ...


Par
Alioune Aboutalib LÔ

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