En Mauritanie, un désert de santé mentale

10:1231/12/2024, Salı
AFP
Une femme entre dans la clinique psychiatrique du CHS de Nouakchott le 12 décembre 2024. Le seul service psychiatrique de Mauritanie se trouve au Centre de médecine spécialisée de Nouakchott et peut accueillir jusqu'à 20 patients.
Crédit Photo : MICHELE CATTANI / AFP
Une femme entre dans la clinique psychiatrique du CHS de Nouakchott le 12 décembre 2024. Le seul service psychiatrique de Mauritanie se trouve au Centre de médecine spécialisée de Nouakchott et peut accueillir jusqu'à 20 patients.

Au-dessus du lit de Sidi, 22 ans, le mur a été tagué: "Le stress tue les neurones". Le jeune homme, diagnostiqué psychotique, occupe la chambre 13 du seul hôpital psychiatrique de Mauritanie, où les vingt lits disponibles pour tout le pays accueillent autant que possible les malades mentaux.

"Ce sont ses amis qui l'ont mis dans les problèmes. Ils lui ont mis dans la tête l'idée de partir (migrer aux États-Unis, NDLR), mais la banque a refusé de donner un prêt. Après cet épisode, il était triste et il a commencé à prendre des drogues",
raconte son père, Mohamed Lemine, barbe blanche soigneusement taillée.

Ce retraité de l'armée a installé une natte dans la chambre de son fils malade, admis à l'hôpital depuis trois jours, pour s'y faire sentinelle.


Ne sachant plus quoi faire face à ses accès de violence psychotique, il a amené son fils au Centre des spécialités de Nouakchott, où se trouve le seul service de psychiatrie du pays.


Sidi y restera quelques jours: les hospitalisations, faute de place et de personnel disponibles, ne durent jamais très longtemps.


"On a besoin d'augmenter le nombre de lits. Beaucoup de patients viennent de loin et il n'y a pas de structure de psychiatrie en dehors de celle-ci",
explique le Dr. Mohamed Lemine Abeidi.

Dans le large couloir de l'hôpital, où se font face les vingt chambres, les murs bleu cyan et blanc crème entourent un va-et-vient permanent : des mères amenant un plat à leur fils interné, un jeune homme venant visiter son frère, ou un oncle inquiet cherchant à calmer son neveu paranoïaque.

Des patients non violents circulent également. Toujours accompagnés d'un parent, ils saluent l'infirmier-major, blaguent avec le directeur de la sécurité, et racontent à qui veut l'entendre les affres du jour : un complot politique, un problème d'érection, une vision du diable...


"Presque la totalité des malades sont accompagnés par la famille, durant les consultations, et même dans l'hospitalisation",
affirme le Pr. Abeidi,
"une spécificité culturelle".

Devant la porte d'entrée du service, une dizaine de personnes attendent, assises sur les murets. Du thé, en train de chauffer sur un fourneau, atténue un peu l'odeur d'ammoniac qui embaume l'endroit.

Comme tous les praticiens mauritaniens, le jeune psychiatre a étudié à l'étranger faute de cursus spécialisé disponible dans le pays: il vient tout juste de revenir du Sénégal et ne voit pas le temps passer tant l'hôpital est surchargé.


En sortant de son bureau après la dernière consultation de la journée, Dr. Abeidi affirme en souriant:


Même si on est un peu limité, on voit qu'il y a tout de même une amélioration par rapport aux années 1970.

C'est à cette époque que la Mauritanie, pays de cinq millions d'habitants niché entre l'océan Atlantique et le désert, de culture et de géographie très largement sahariennes, a découvert la santé mentale.

Le mérite revient au Dr Dia Al Housseynou, aujourd'hui âgé de 83 ans, qui passe ses vieux jours en famille dans sa maison aux murs ornés de bougainvilliers dans le centre-ville de Nouakchott.


En 1975, après des études à Dakar, des stages dans plusieurs pays européens et une thèse sur la thérapie familiale, il rentre au pays et convainc les autorités de l'intérêt de cette médecine alors inconnue.

Il installe dans la cour de l'hôpital national des tentes traditionnelles du Sahara, des khaimas. Les familles peuvent y amener leurs proches malades pour des consultations. Et ça marche ! Trois ans plus tard, un service dédié est ouvert au sein de l'hôpital et, en 1990, le Centre des spécialités est inauguré.


Trente-quatre ans plus tard, le retraité déplore l'abandon des larges tentes pour des chambres fermées.
"L'architecture compte beaucoup dans la prise en charge des malades. Quand on construit des services fermés, chacun sa chambre, cela devient des prisons",
dit le doyen de la santé mentale mauritanienne.

À l'hôpital, les portes de ces chambres jettent un voile sur les patients violents. Sur leurs lits, allongés en train de dormir ou assis à ressasser la journée, beaucoup sont enchaînés.

Chargé de la sécurité, Ramadan Mohamed explique:


La politique de l'hôpital interdit cela, mais c'est à la discrétion de la famille d'attacher leur proche ou non.

Dans la chambre de Sidi, une chaîne a été tirée entre la fenêtre et son pied gauche.


Souvent, l'hospitalisation est la dernière option envisagée, explique le Dr. Abeidi.
"La majorité des patients passent par les traitements traditionnels avant d'arriver en psychiatrie. Le patient va aller voir son marabout. Si la famille et le marabout voient que ça n'avance pas, là, ils vont l'orienter vers l'hôpital."

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