"Mon dernier jour sur Terre": au Kenya, le traumatisme des manifestants enlevés

12:319/12/2024, lundi
AFP
Une bombe lacrymogène explose alors que des manifestants tentent d'aider des personnes blessées devant le Parlement kenyan lors d'une grève nationale pour protester contre les hausses d'impôts et le projet de loi de finances 2024, dans le centre de Nairobi, le 25 juin 2024.
Crédit Photo : LUIS TATO / AFP
Une bombe lacrymogène explose alors que des manifestants tentent d'aider des personnes blessées devant le Parlement kenyan lors d'une grève nationale pour protester contre les hausses d'impôts et le projet de loi de finances 2024, dans le centre de Nairobi, le 25 juin 2024.

Le 25 juin 2023, le centre de Nairobi a été le théâtre d’une flambée de violence. Manifestants et forces de l’ordre s’affrontaient alors que le parlement kényan était brièvement pris d’assaut. La riposte policière fut brutale, marquée par des tirs à balles réelles et une répression sans précédent.

Parmi les victimes, John, 32 ans, se souvient de cet épisode avec effroi. Quelques jours après les manifestations, cet habitant du bidonville de Kibera a été enlevé par deux hommes armés, qu’il identifie comme des policiers.


"C’était terrifiant",
confie-t-il.
"Je ne savais pas s’ils m’arrêtaient ni où ils m’emmenaient."
Transporté dans une forêt, les yeux bandés, il a été sévèrement battu, interrogé, puis relâché après une rançon de 8.000 shillings (60 euros).

Manifestations réprimées dans le sang


Les manifestations avaient commencé début juin, en opposition au projet de budget du gouvernement prévoyant des hausses d’impôts et de nouvelles taxes. Le mouvement, d’abord pacifique, a basculé dans la violence, laissant un lourd bilan : au moins 60 morts selon l’ONG Commission nationale kényane des droits de l’homme (KNCHR).


L’organisation affirme également que 74 personnes ont été enlevées, parmi lesquelles 26 restent portées disparues. De nombreuses familles, comme celle de Joseph, 24 ans, disparu le 25 juin, cherchent désespérément des réponses.

Faith, sa cousine, raconte:


Il ne s’intéressait pas à la politique. Il était juste au mauvais endroit au mauvais moment.

La famille, sans nouvelles, a épuisé toutes les pistes, des hôpitaux aux morgues, sans succès.


Des ravisseurs impunis


Des ONG, dont Amnesty International et Human Rights Watch, accusent les forces de sécurité kényanes d’être derrière ces enlèvements. Ces organisations citent des témoignages décrivant des victimes arrêtées par des policiers en civil, avant d’être retrouvées mortes quelques jours plus tard.


"Les ravisseurs savent qu’ils n’auront pas de comptes à rendre",
dénonce Otsieno Namwaya, directeur de Human Rights Watch pour l’Afrique de l’Est. Il appelle à une enquête indépendante pour identifier les responsables.

John, qui avait voté pour le président William Ruto en 2022, se dit profondément déçu :
"Il ment tout simplement",
réagit-il après le discours présidentiel du 21 novembre. Ruto y avait minimisé les accusations tout en condamnant certaines
"actions excessives".

Un climat de peur généralisé


Les manifestations de juin et juillet ont marqué un tournant pour les jeunes générations, qui s’étaient mobilisées spontanément via les réseaux sociaux. Exaspérées par la pauvreté, le chômage et la corruption, elles espéraient un changement.


Aujourd’hui, beaucoup, comme John, ont renoncé à exprimer leur colère :


Au Kenya, vous n’en avez pas le droit.

Ce climat de peur, alimenté par des pratiques extrajudiciaires et une impunité généralisée, pèse sur un pays en quête de justice et de réformes.


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