Au Sénégal, les premiers signes de la "rupture" - ANALYSE

Alioune Aboutalib Lo
14:124/12/2024, Çarşamba
MAJ: 5/12/2024, Perşembe
Yeni Şafak
Le Président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye (G), et le Premier Ministre Ousmane Sonko (D).
Crédit Photo : X /
Le Président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye (G), et le Premier Ministre Ousmane Sonko (D).

Arrivé au pouvoir le 24 mars 2024 après la victoire de Bassirou Diomaye Faye à la présidentielle, le PASTEF et son leader Ousmane Sonko, étaient attendus sur les changements drastiques et réformes dans la gouvernance, pour initier une rupture avec les pratiques de l’ancien “système”. Huit mois après, les premiers signes de la rupture s’installent petit à petit.

A l’approche des élections législatives ayant eu lieu le 17 novembre, Ousmane Sonko avait appelé ses militants et sympathisants à participer à la cagnotte ouverte pour prendre en charge les besoins de la campagne, comme le PASTEF (Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité) le faisait en étant dans l’opposition. Une pratique qui tranche avec ce qu’on voyait au Sénégal et en Afrique auparavant, où les partis au pouvoir ne se gênent pas pour utiliser les moyens de l’Etat à des fins partisanes ou politiciennes.


Séparer le Parti de l’Etat


L’ancien régime de Macky Sall a souvent été critiqué pour ces faits. L’Etat avait notamment fini de prendre la camisole du parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (APR), et des symboles de l’Etat avaient même fini par prendre les couleurs beige et marron de l’APR. Ousmane Sonko, farouche opposant, avait alors martelé à plusieurs reprises la nécessité d’en finir avec ces pratiques et de séparer le parti et l’Etat, le parti et la patrie.


Cette approche est devenue la marque de fabrique du régime actuel qui s’est fixé comme objectif de rompre avec les pratiques partisanes au sommet de l’Etat, mais aussi de renforcer la crédibilité des institutions, d’imposer une gestion républicaine, d’encourager la bonne gouvernance, la transparence, de lutter contre la corruption et l’impunité, en plus de toujours préconiser l’intérêt national.

Devenu Premier Ministre en restant Chef du Pastef, Sonko est resté fidèle à cette approche. Pour les meetings et réunions politiques, il utilise ses propres moyens, sa propre sécurité et ses propres véhicules, abandonnant ses privilèges de Premier Ministre. Dans un de ses lives devenus la pièce maitresse de sa communication politique, à la veille des législatives, il avait encouragé les responsables du PASTEF disposant de poste nominatif, à cotiser pour la campagne mais exclusivement sur la base de leur salaire. L’utilisation des moyens de l’Etat leur étant formellement interdite.


Durant la campagne, Ousmane Sonko s’est surtout positionné exclusivement en Chef de Parti, tête de liste du PASTEF, et non comme Premier Ministre. Victime, avec ses partisans, de plusieurs attaques qu’il attribue à l’opposition, en particulier à Samm sa Kaddu et à sa tête de liste Barthélémy Diaz, le président de PASTEF n’a pas manqué de critiquer l’État, qui “a failli”, selon son directeur de campagne, Fadilou Keita. En effet, souligne Sonko, le ministre de l’Intérieur était déjà au courant des manigances du maire de Dakar. Cette sortie avait été notamment incomprise par beaucoup de sénégalais qui ignoraient en effet, la nouvelle donne politique qui s’installait au sein de l’Etat.


Le Président "au-dessus de la mêlée"


Pour Ousmane Sonko, il fallait se comporter en Chef de parti et candidat, pour être sur un pied d’égalité avec tous les autres candidats et respecter ainsi les exigences d’équité du jeu démocratique.


Cette séparation entre l’Etat et le Parti au pouvoir s’est aussi reflétée dans l’attitude du Président Bassirou Diomaye Faye. Pour la première fois de l’histoire, ont salué plusieurs internautes, le Chef d’Etat s’est complétement écarté du jeu électoral en restant
“au-dessus de la mêlée”,
ne faisant une allocution publique à la veille des législatives que pour sensibiliser et assurer d'une élection libre, dans la paix et dans la transparence.

Une approche qui tranche avec les pratiques de l’ancien système où le Chef d’Etat était au centre des campagnes électorales.


Des ministres à l'écoute


Mais la rupture avec PASTEF ne se limite pas à cette dichotomie entre Patrie et Parti. Dans le management public, des changements se font sentir. Les ministres sont notamment plus à l’écoute, plus présents sur le terrain et plus réactifs. Ils ne manquent pas d’intervenir sur les réseaux sociaux surtout en cas de signalement de problèmes issus de leur domaine, ou d’apporter des informations pour éclairer l’opinion sur certains faits.


Par exemple, le Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et la Souveraineté Alimentaire est déjà intervenu dans un Space sur X à l’initiative des internautes. Dr Fatou Diouf, Ministre des Pêches, des Infrastructures maritimes et portuaires, intervient sur la même plateforme aussi pour échanger en commentaire avec les citoyens sénégalais.


Le Ministre de l‘Hydraulique et de l’Assainissement Cheikh Tidiane Dieye a déjà repondu à des signalements sur Facebook concernant des zones où les populations manquaient crucialement d’eau pour ensuite régler le problème dans les heures qui ont suivi.

L’intérêt national


Dans le discours aussi, "l’intérêt national" est devenu un leitmotiv. Mais pas que. L’élan de la rupture de PASTEF s’inscrit dans la quête de partenariats plus équilibrés et surtout dans la protection des ressources naturelles. En août dernier, le Premier ministre, Ousmane Sonko, a créé une commission chargée de réexaminer les contrats signés par l’État du Sénégal avec des partenaires dans des secteurs jugés stratégiques,
"dans le but de défendre les intérêts du pays"
, explique-t-il.

Nous avons regretté et dénoncé vigoureusement la manière dont les accords et les conventions ont été signés, le plus souvent au détriment des intérêts stratégiques du Sénégal et de son peuple.

Cette commission se penchera sur des contrats le plus souvent jugés contraires aux intérêts du Sénégal. Une première au Sénégal. Le nouveau régime a surtout lancé cette introspection dans plusieurs domaines. Sur le foncier et sur le littoral dakarois par exemple, sur lequel Ousmane Sonko lui-même avait dénoncé, en tant qu’opposant, des pratiques nébuleuses, des travaux ont été suspendus pour donner lieu à des audits en profondeur. Un homme d’affaires israélien du nom de Ron Yeffet s’est vu retirer notamment en novembre, un terrain de 10.000 hectares issu d’un marché de gré à gré avec l'ancien gouvernement.


Rupture dans la politique étrangère


Dans le secteur de la diplomatie aussi, les premiers signes de la rupture se font sentir. Le 80e anniversaire de la commémoration de Thiaroye 44 a été surtout marquant dans cette perspective. Les efforts diplomatiques du Président Diomaye Faye ont permis de faire admettre à la France que ce jour-là, il y a eu
"un enchaînement de faits ayant abouti à un massacre"
.

L'historien Mamadou Diouf, président du comité préparatoire de la commémoration, a relevé
"le silence coupable et complice"
des gouvernements précédents sur ce drame colonial.

Une réussite diplomatique inédite mais qui était une condition nécessaire pour un partenariat
"rénové"
entre le Sénégal et la France, estime le Chef d'Etat sénégalais.
"Nous sommes en train de faire cet exercice d'inventaire de vérité pour véritablement avoir un partenariat rénové, mais qui ne peut être rénové que dans la vérité et dans l'exhaustivité de la vérité"
, avait-il affirmé lors de son discours lors de la commémoration.

Dans une interview accordée aux médias français à la veille de cette cérémonie aussi, le Président de la République du Sénégal avait affirmé que la France devait désormais
"offrir plus et mieux pour s’imposer"
dans un environnement plus compétitif. Le nouveau gouvernement a renforcé la diversification de ses partenariats internationaux lors de ces premiers mois à la tête du pays.

L’Arabie Saoudite, la Chine et la Türkiye, où le Président Faye s’est rendu en visite officielle, ont renforcé leur place dans la cartographie des partenaires du Sénégal, en plus des Etats-Unis où, en visitant la Silicon Valley en août dernier, Faye a convaincu les géants de la technologie américaine d'accompagner un "new deal technologique" au Sénégal.

Le Sénégal sort ainsi d’une traditionnelle posture de “wait and see” dans sa politique étrangère pour aller vers une diplomatie (économique) plus dynamique, plus proactive, et plus soucieuse de ses intérêts nationaux.


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