Que lui a t-on voulu ?

11:0913/12/2025, Cumartesi
Taha Kılınç

L’un des développements les plus marquants survenus ces derniers jours dans le monde arabe a été la déchéance de nationalité infligée par le Koweït à l’écrivain et homme d’affaires koweïtien Dr Tareq Al-Suwaidan. Le décret signé par l’émir du Koweït, Cheikh Mishal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, est entré en vigueur le jour même de sa publication au Journal officiel. Selon les informations relayées par la presse, l’ensemble de la famille d’Al-Suwaidan a également été privé de la nationalité koweïtienne.

L’un des développements les plus marquants survenus ces derniers jours dans le monde arabe a été la déchéance de nationalité infligée par le Koweït à l’écrivain et homme d’affaires koweïtien Dr Tareq Al-Suwaidan. Le décret signé par l’émir du Koweït, Cheikh Mishal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, est entré en vigueur le jour même de sa publication au Journal officiel. Selon les informations relayées par la presse, l’ensemble de la famille d’Al-Suwaidan a également été privé de la nationalité koweïtienne. La décision aurait été prise à la suite d’une recommandation et d’une validation du ministère de l’Intérieur.


Selon la législation koweïtienne, la déchéance de nationalité ne peut intervenir que dans des cas de fraude qualifiée, d’implication dans des affaires criminelles ou lorsque la personne est considérée comme une menace pour la sécurité de l’État. Aucune justification officielle n’ayant été communiquée, il apparaît néanmoins que le retrait des droits civiques de Dr Tareq Al-Suwaidan et de sa famille repose sur le motif de "menace pour la sécurité de l’État", ce qui en fait une décision entièrement politique. D’autant plus que Dr Al-Suwaidan est connu dans le monde arabe et sur la scène internationale pour sa proximité avec les Frères musulmans (Ikhwan).


Né en 1953 au sein de l’une des familles influentes du Koweït, Dr Al-Suwaidan a suivi une formation de base en sciences islamiques avant de partir aux États-Unis, où il a étudié l’ingénierie pétrolière à l’Université de Tulsa (Oklahoma). Il y a également obtenu son doctorat. De retour dans son pays, il s’est lancé dans les affaires en fondant sa propre entreprise, tout en produisant des émissions télévisées à caractère religieux, historique et culturel, qui lui ont permis de toucher un très large public. Ses ouvrages rédigés en arabe ont été traduits dans les principales langues du monde, notamment en anglais et en français. Il a par ailleurs figuré en 2022, 2023 et 2024 sur la liste des "500 musulmans les plus influents".


Figure parmi les écrivains les plus lus, les plus suivis et les plus regardés du monde arabe, Dr Tareq Al-Suwaidan a commencé à rencontrer des difficultés dans le Golfe à partir du Printemps arabe. En 2013, alors qu’il souhaitait se rendre en Arabie saoudite pour accomplir la omra, il a appris qu’une interdiction d’entrée sur le territoire lui avait été imposée. La même année, il a été démis de ses fonctions de rédacteur en chef de la chaîne Al-Risala, propriété du prince saoudien Al-Walid ben Talal. En 2014, l’Arabie saoudite a totalement interdit la vente de ses livres sur son territoire.


Malgré tout cela, Al-Suwaidan n’avait jusqu’ici jamais été confronté à de telles entraves dans son propre pays, où il est né et a grandi. Il pouvait encore intervenir librement sur les chaînes de télévision, exprimer ses opinions politiques, commenter l’actualité et continuer à écrire ses livres.


La déchéance de nationalité de Dr Tareq Al-Suwaidan et de sa famille est particulièrement frappante à deux titres.


D’une part, le Koweït est connu comme l’un des pays relativement les plus libres du Golfe. Il dispose d’un parlement vivant, parfois le théâtre de débats enflammés, et de personnalités indépendantes qui ont su préserver leur propre ligne. Dans un tel climat, une décision aussi brutale et imposée d’en haut est pour le moins surprenante. Expliquer ce processus uniquement par l’influence du bloc anti-Ikhwan mené par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ne suffit pas à convaincre. Lors du blocus imposé au Qatar entre 2017 et 2021, le Koweït était resté en dehors du conflit et avait même joué un rôle dans la réconciliation entre Doha et les autres pays arabes.


D’autre part, Tareq Al-Suwaidan est avant tout connu comme un homme de plume, ayant choisi de mener le "jihad contre l’ennemi" par la pensée et l’intellect. Il n’a jamais ouvertement défié les autorités koweïtiennes et a toujours pris soin de respecter les équilibres sensibles du monde arabe. De plus, lorsqu’on soumet ses ouvrages à une analyse académique, ils peuvent être critiqués tant sur la forme que sur le fond. Il n’est pas non plus nécessairement perçu comme une figure capable de mobiliser les masses, de les politiser ou de façonner l’opinion publique. Malgré cela, le traitement qui lui est infligé, ainsi qu’à sa famille, apparaît étrange et incompréhensible.


Face à ces événements, une question s’impose: jusqu’où ira la "chasse aux Ikhwan" dans le monde arabe ? Quel bénéfice peut-on tirer de l’étouffement d’un mouvement qui possède pourtant un potentiel crucial pour aider les sociétés musulmanes à retrouver leur propre identité ?

#Monde Arabe
#Islam
#Société
#Taha Kılınç