"Cordoue est ma Jérusalem à moi"

Lorsque nous avons atteint la Casa Andalusi (Maison de l'Andalousie) par les rues secondaires de Cordoue, cela valait la peine de se mouiller sous une pluie battante. L'endroit, qui sert de musée, est une maison classique de Cordoue construite dans les années 1100: La fontaine et le bassin que nous avons découverts dès que nous avons franchi la porte, les diverses plantes ornementales qui couvrent le haut mur d'enceinte, le balcon de l'étage, les salles, les jardins arrière avec des fontaines et des bassins, la cave et la réserve à l'étage inférieur... Nous avons voyagé des siècles en arrière et nous nous sommes retrouvés dans la Cordoue musulmane.

Puis, la propriétaire de la maison, Mme Selma Fârûkî, apparaît. Elle s'est approchée de nous avec son habituelle attitude imposante et charismatique, nous a tous salués d'un chaleureux "As-Salamou alaykoum" et, montrant la pluie, a ajouté: "Vous êtes venus avec de la bonté et des bénédictions !"

Lorsque je me rends à Cordoue, je rends toujours visite à Mme Selma. Lorsque des amis qui se rendent à Cordoue me demandent conseil, je leur dis: "Ne revenez pas sans l'avoir vue". Selma Fârûkî, épouse du célèbre philosophe français Roger Garaudy (1913-2012), vit à Cordoue depuis 38 ans. L'histoire de sa vie est tout à fait extraordinaire et frappante:

Elle est née le 15 octobre 1940 à Jérusalem, fille d'une riche famille de notables palestiniens. Son grand-père, Abdurrahman Tâjî al-Fârûkî, était un homme qui possédait de grandes étendues de terre dans et autour de la ville de Wadî Hunayn près de Ramle. Le frère d'Abdurrahman Tâjî, Suleiman Tâjî al-Fârûkî, était à la fois un poète célèbre et un homme politique qui défendait la loyauté envers l'empire pendant la dernière période de l'empire ottoman.

L'enfance de Selma al-Fārūqī s'est déroulée dans un grand confort et un grand bonheur à Wādī Hunayn. Cependant, au printemps 1948, sur ordre de Yitzhak Rabin - l'un des futurs premiers ministres d'Israël - la population palestinienne de Ramle et des villes arabes environnantes fut expulsée, et les Fârûkîs durent quitter leurs maisons et leurs propriétés. Après l'occupation sioniste de Wadî Huneyn, le village a été rebaptisé "Nes Siyona", la mosquée a été transformée en synagogue, et le manoir où Selma Fârûkî a grandi a été transformé plus tard en Institut israélien de biologie.

Abdurrahman Tâjî al-Fârûkî était un grand marchand qui exportait des agrumes vers l'Europe depuis de nombreuses années. Grâce à ses capitaux et à ses relations politiques en dehors de la Palestine, la famille s'est facilement installée en Égypte. Bien que leur niveau de vie se soit considérablement dégradé et qu'ils soient coincés dans un appartement au Caire après avoir vécu dans d'immenses demeures, ils étaient reconnaissants de ne pas se trouver dans un camp de réfugiés. Selma Fârûkî, qui n'avait que 8 ans à l'époque, a reçu une bonne éducation avant d'épouser un homme d'affaires en 1959 et de s'installer à Djeddah, en Arabie saoudite.

Après avoir donné naissance à ses deux enfants, Mme Selma a quitté son mari, qui ne pratiquait pas l'islam, au début des années 1970 et s'est installée à Genève, en Suisse, où vivaient des membres de sa famille. Mme Selma y rejoint la communauté musulmane et commence des études islamiques. Son chemin croise celui de Roger Garaudy en 1982: Mme Selma, qui a lu le livre de Garaudy "Les promesses de l'islam" sur les conseils d'une amie, invite le célèbre philosophe à Genève pour une conférence. Garaudy, qui s'apprêtait alors à franchir la porte de l'islam, fut très impressionné par la profonde culture et l'esprit militant de Fârûkî. En peu de temps, Garaudy fut d'abord honoré par l'islam, puis épousa Mme Selma.

Après avoir vécu ensemble à Paris pendant un certain temps, le couple Garaudy s'est installé à Cordoue en 1986 à l'invitation de l'homme politique espagnol Julio Anguita, alors maire de la ville. M. Anguita, qui s'intéressait beaucoup au passé islamique de Cordoue, a aidé les Garaudy à acheter et à restaurer une maison andalouse historique située dans les remparts de la ville. Il leur a également attribué la tour située à l'extrémité du pont romain, juste en face de la mosquée de Cordoue, pour une durée de 49 ans, et y a créé un musée de la ville.

Mme Selma, qui parle couramment l'anglais, le français et l'espagnol ainsi que sa langue maternelle, l'arabe, poursuit sa veillée islamique à Cordoue après la mort de son mari. Bien qu'elle soit loin de sa patrie, la Palestine et Jérusalem continuent de l'habiter. A tel point qu'elle dit "Cordoue est ma Jérusalem" lorsque le sujet est abordé...