Crédit Photo : Nouvelle Aube / Nouvelle Aube
Le leader de la révolution syrienne Ahmed El-Sharaa, et le journaliste de Yenişafak-Nouvelle Aube Yasin Aktay, à Damas, le 17 décembre 2024.
Le commandant des forces ayant mis fin au régime Baas, Ahmed el-Sharaa (alias Abu Muhammed el-Julani), a répondu aux questions de Yenişafak-Nouvelle Aube dans son bureau situé au sein du bâtiment de la Primature à Damas.
"C'est aussi une victoire de la Türkiye"
Ahmed el-Sharaa, figure centrale de la révolution ayant renversé le régime Baas, a accordé son entretien le plus complet à Nouvelle Aube. Lors de cet échange, el-Sharaa a déclaré:
"Nous avons demandé cela à Allah. Une victoire sans vengeance. Car si la révolution perd sa morale, elle perd tout. Grâce à Allah, nous avons réussi."
Il a ajouté:
"Cette victoire ne se limite pas au peuple syrien. Elle appartient aussi à des peuples sincères comme celui de Türkiye. Car les opprimés ont triomphé des oppresseurs".
Après 13 ans de lutte acharnée et destructrice en Syrie, el-Sharaa est devenu, en l’espace de 13 jours, le visage d’une révolution unique en son genre. Ancien combattant marginalisé par des rumeurs et des perceptions négatives, il est désormais un homme politique dont les idées suscitent l’intérêt. Chefs d'État et diplomates cherchent à établir le contact avec ce nouvel acteur incontournable.
Calme, modeste, sincère et pertinent dans ses propos, Ahmed el-Sharaa laisse une forte impression. Ancien combattant pour la liberté, il croit désormais en la nécessité d’adopter une mentalité d’État. Selon lui, l’administration de la région d’Idlib leur a permis un apprentissage, mais gérer l’ensemble de la Syrie exige bien plus de responsabilité, d’énergie et de compétences.
En vue de couvrir cet événement historique, nous nous sommes rendus en Syrie pour la première fois depuis 14 ans. Ce voyage a débuté par un entretien avec le leader de la révolution, dans un Damas en liesse, notamment sur la place Hamidiye, où des jeunes fêtaient leur libération.
"La prison de Saidnaya deviendra un musée"
Nouvelle Aube: Félicitations pour cette grande victoire. Vous avez renversé le régime Baas, qui a régné pendant 61 ans sous une dictature brutale, et mis fin à 54 ans de domination de la famille Assad. Aujourd’hui, les images provenant de Saidnaya révèlent l’ampleur des atrocités de ce régime. Quelles mesures envisagez-vous pour garantir que ces crimes soient reconnus et qu’ils ne se reproduisent plus? Pensez-vous transformer cette prison en musée?
"Comme vous l’avez vu à Saidnaya, le régime a commis de nombreux massacres. Il a tué des personnes, les a enfermées dans des presses métalliques, les a brûlées avec de l’acide, puis dans des fours. Et Saidnaya n’est pas un cas isolé. Il y a encore de nombreuses personnes portées disparues. Le régime gérait la Syrie comme une immense prison, réprimant le peuple en utilisant toutes ses institutions sécuritaires, militaires et économiques. Notre première tâche est de documenter ces crimes et de veiller à ce qu’ils ne se reproduisent plus. Nous allons traduire en justice toutes les personnes impliquées, que ce soit en Syrie ou à l’étranger, et confisquer leurs biens au profit de l’État syrien. Quant à la prison de Saidnaya, nous envisageons de la transformer en musée et en mémorial. Elle deviendra une preuve des crimes du régime et de ses abus envers le peuple syrien".
Nouvelle Aube: Cette révolution a été rapide, 13 jours seulement. Beaucoup trouvent difficile de croire que le régime Assad ait pu tomber aussi vite. Était-ce vraiment aussi simple?
"Absolument pas. Le régime disposait d’une armée immense et de nombreuses armes modernes. Nos forces étaient formées jour et nuit à des tactiques de guerre. Mais le plus important, c’était la volonté divine: cette victoire appartient à Allah. Notre plan reposait sur une stratégie de victoire rapide. Cette bataille a introduit un nouvel art de la guerre, qui, j’en suis sûr, sera étudié dans les grandes universités à l’avenir."
"Aucun accord avec les grandes puissances"
Nouvelle Aube: Certains affirment que votre succès est dû à un accord entre grandes puissances, comme la Russie, l’Iran, voire les États-Unis. Ces pays auraient abandonné Assad. Est-ce vrai?
Ahmed el-Sharaa:
"Non, il n’y a jamais eu d’accord. Au contraire, ils nous mettaient en garde contre les conséquences possibles, en évoquant les massacres de Gaza ou ceux que notre peuple avait déjà subis. Mais nous étions déterminés à nous libérer. La Syrie était une immense prison. Aujourd’hui, tout le peuple est libéré et fête cette victoire".
"Priorité : résoudre les problèmes du peuple"
Nouvelle Aube: Vous êtes passé de révolutionnaire à dirigeant. Êtes-vous prêt à gouverner un État? Quelles sont vos priorités?
"Nous devons adopter une mentalité d’État. Une révolution est une source de fierté, mais elle ne peut être le fondement d’un gouvernement. Notre priorité est d’assurer la stabilité et de fournir des services de base, comme la sécurité, l’électricité, la nourriture et le carburant. Nous travaillons aussi à réformer les institutions, notamment la justice, la police, et l’armée. La Syrie a de nombreux problèmes, mais nous les aborderons un par un pour obtenir des résultats réalistes".
"La Türkiye a toujours soutenu notre peuple"
Nouvelle Aube: Quel est votre message pour le peuple turc, qui a soutenu les Syriens tout au long de ces 13 années?
"De nombreux Syriens ont trouvé refuge dans plusieurs pays, mais la Türkiye a été la plus accueillante et respectueuse envers eux. Nous espérons que la Syrie n’oubliera jamais cette bienveillance. Nous établirons des relations stratégiques avec la Türkiye, notamment dans les domaines économique et commercial. Nous comptons sur l’expérience de la Türkiye pour contribuer à la reconstruction de la Syrie. Ce lien sera maintenu avec amour et sincérité".
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