Les droites sont-elles immorales ou les gauches?

09:4315/12/2025, lundi
MAJ: 15/12/2025, lundi
Aydın Ünal

La polémique a éclaté à la suite de déclarations qui ont ravivé un vieux débat idéologique en Türkiye: celui de la morale politique, et de la prétendue supériorité éthique d’un camp sur l’autre. Le père d’Ekrem İmamoğlu, Hasan İmamoğlu, s’est récemment exprimé dans Sözcü Gazetesi, lors d’un entretien accordé à Saygı Öztürk. Il y déclarait notamment: "J’ai combattu pour que le communisme n’arrive pas dans notre pays. Aujourd’hui, je le regrette profondément. Car le communisme n’a même plus besoin

La polémique a éclaté à la suite de déclarations qui ont ravivé un vieux débat idéologique en Türkiye: celui de la morale politique, et de la prétendue supériorité éthique d’un camp sur l’autre.


Le père d’Ekrem İmamoğlu, Hasan İmamoğlu, s’est récemment exprimé dans Sözcü Gazetesi, lors d’un entretien accordé à Saygı Öztürk. Il y déclarait notamment:


"J’ai combattu pour que le communisme n’arrive pas dans notre pays. Aujourd’hui, je le regrette profondément. Car le communisme n’a même plus besoin d’exister: quand ils le veulent, ils le déclarent. Vos biens sont confisqués, vos propriétés saisies."

Ces propos ont provoqué une véritable explosion de colère chez le journaliste Enver Aysever. Hors de lui, il a multiplié les déclarations violentes et outrancières:


"Quand on est de droite, on devient immoral, ou bien la morale se transforme en immoralité. Tous ceux qui ont corrompu la morale de la République, de Menderes à aujourd’hui, sont des gens de droite. Être de droite est un crime… La droite n’a aucun critère, aucune conscience, elle fait commerce de la religion, commerce du nationalisme… Être de gauche est la première condition pour être un être humain… Ce n’est qu’en étant de gauche qu’on ne se soumet pas à l’argent."

Ce ne sont pas des paroles acceptables. Ce ne sont pas non plus des propos qu’on peut tenir l’esprit clair. Insultes, provocations, polarisation, stigmatisation, incitation à la haine: tout y est.


Droite et gauche: une frontière introuvable en Türkiye


Enver Aysever a été arrêté la semaine dernière. A-t-il été arrêté pour ces propos ou pour d’autres raisons, je l’ignore. Mais si cette arrestation repose uniquement sur ces déclarations, je ne la trouve pas justifiée. Le laisser seul face à ses propres contradictions, enfermé dans sa propre obscurité, aurait sans doute été plus approprié.


En Türkiye, il existe des lignes de fracture nettes comme
"modernes-conservateurs"
,
"Turcs-Kurdes"
ou encore
"Alévis-Sunnites"
. Mais une séparation claire entre
"droite"
et
"gauche"
est pratiquement impossible. Cette ambiguïté traverse tous les niveaux, du citoyen aux partis politiques.

Le Parti de la justice et du développement (AK Parti), par exemple, ne se définit pas comme un parti de droite. Quant au CHP, il a été, selon les périodes, qualifié de fasciste, de raciste, de nationaliste, de capitaliste, tout en se revendiquant parfois de gauche.

Sur le terrain social, aucune formation se réclamant de la gauche n’a accompli autant que l’AK Parti en matière de travail et de droits des travailleurs. Du salaire minimum à la syndicalisation, de la reconnaissance du 1er mai comme jour férié à la sécurité au travail, aucune formation dite de gauche ne peut rivaliser avec ce bilan. À l’inverse,
la posture ultra-raciste affichée par le CHP et Kemal Kılıçdaroğlu
sous les banderoles
"Nous les renverrons"
avant le second tour de l’élection présidentielle de 2023 dépasse même ce que certains partis ouvertement fascistes ont osé défendre.

Morale revendiquée, contradictions assumées


La gauche en Türkiye se distingue souvent par son hostilité à la religion et à la religiosité. Pourtant, le segment le plus dogmatique, le plus intolérant et le plus sectaire du pays se définit précisément comme
"de gauche"
. La gauche turque n’a peut-être pas de religion, mais elle a un confessionnalisme. À tel point que le discours de gauche sert bien souvent de masque au sectarisme.

Sur le plan du capitalisme, de l’impérialisme et de l’hégémonie américaine, la gauche oscille sans cesse. Elle sollicite le soutien du Royaume-Uni, de l’Allemagne, des États-Unis ou de l’OTAN, tout en déstabilisant le pays par des manifestations de rue qui ont, comme à Gezi, servi de terrain favorable aux intérêts américano-israéliens. Sous couvert de discours progressiste, elle a parfois joué le rôle d’auxiliaire utile, comme dans le cas des structures liées à FETÖ ou du PKK/YPG, devenant, derrière un masque de gauche, un instrument du sionisme et du capitalisme.


Pendant ce temps, le camp qualifié indistinctement de
"droite"
a fait croître l’économie de Türkiye, augmenté le niveau de vie, réduit les discriminations, élargi les libertés et développé une industrie nationale capable de contrer les jeux impérialistes et même d’en définir les règles.

Moral et honnêteté: le vrai test


Il serait possible de multiplier les exemples, mais arrêtons-nous sur la question centrale de la morale et de l’honnêteté. Accuser la droite d’immoralité et d’absence de probité tout en fermant les yeux sur la corruption, le détournement et les scandales de son propre camp relève, en soi, de l’immoralité.


Enver Aysever, par exemple, a discrètement obtenu en 2021 un marché public de 238 000 livres turques auprès de la municipalité métropolitaine d’Izmir dirigée par le CHP, sous l’intitulé
"école d’écriture
". À titre de comparaison, le salaire minimum s’élevait alors à 2 826 livres. Dans des conditions normales, il aurait dû se retirer de la scène publique et s’abstenir de toute leçon de morale.

Rester silencieux face au génocide à Gaza sous prétexte que les Palestiniens sont croyants, soutenir implicitement la barbarie israélienne, fermer les yeux pendant des décennies sur les crimes du régime d’Assad au nom d’une proximité confessionnelle, puis mépriser une révolution populaire en Syrie tout en faisant l’éloge d’Assad: tout cela relève peut-être d’une posture dite de gauche, mais certainement pas d’une position morale.

Notre peuple connaît parfaitement la droite, la gauche et les idées qui ne rentrent dans aucun de ces sacs idéologiques. Il sait reconnaître les postures et y répondre. Si Enver Aysever a été arrêté uniquement pour ses propos, ce n’était pas souhaitable. Qu’on le laisse parler: au moins pourrons-nous l’écouter comme on regarde une comédie, en riant de ses contradictions.

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